Oh ! danger !
La pelote de feu entra par la grande fenêtre du donjon. Georgina, quatre ans, leva l’œil et s’arrêta de gribouiller. Un rien d’angoisse fit encore zigzaguer le crayon sur la tête de son personnage. Puis la boule géante se figea. Tel un gyroscope elle se mit à rouler d’un pôle sur l’autre. Un deuxième coup de tonnerre fracassa les frondaisons du parc, jetant de gros arbres dans l’argile. Georgina sentit la chaleur sur son visage. Une chaleur de miel brûlé, haut sur les pommettes, douce comme l’oranger. Deux filaments d’or grésillèrent dans la sphère, allumant le poste à galène. Puis une voix grave s’éleva sur les ondes longues :
— Le
génie des orages vous dit bonjour !
Georgina
fit aussitôt trois vœux : que Sergio, mon jumeau, m’aime toujours ;
que Papa, mon père, revienne vite ; que j’aie des pouvoirs magiques...
Un
quatrième souhait s’insinua, qu’elle n’osa formuler, qu’elle chassa d’un léger
revers, qu’elle garda pour elle — son secret.
Le bloc de
foudre vira du rouge au jaune clair, sembla sourire, pâlit encore jusqu’au
blanc, mugit, gonfla... et la surface aveugle se mit à palpiter comme les halos
de mille soleils pris au coronographe.
Georgina se boucha les oreilles.
*
Sur le petit manège, Sergio pilote un jet et se joue du vertige. Sa sœur le dévore du regard à deux encablures. Sergio se met à genoux sur son siège et tente, à chaque tour, d’agripper la houppe qui s’agite au dessus des enfants. Georgina l’encourage du haut de sa balançoire. Elle rit du vent qui bouge ses cheveux. Savez-vous que c’est elle qui lui fait gagner parfois quelques tours gratuits ?
*
Peut-être
Papa me baignera-t-il ce soir comme avant. Je grimperai l’escalier dans ses
bras, il me mettra dans l’eau avec mes tigres du Bengale. Les éponges seront
des îles et les gants de toilette des gueules de monstres ! Il jouera
longtemps ! Il m’apportera une surprise, Mowgli
ou d’autres figurines du Livre de
*
— Montre-toi,
Génie, j’ai des soucis !
Régulière, vingt ans durant, revint gronder la foudre à la moindre injonction, immobile et blanche, douce brûlure de miel au goût d’oranger.
*
Papa, le voltigeur des nuages, ne se montra jamais. Avait-il passé l’arme à gauche, comme disait Maman ? Ou été tué à la guerre, comme disait Sergio ? Avait-il dévissé dans les Grandes Jorasses et dégringolé, comme c’était écrit dans maints évangiles ?
*
Les jumeaux de la haute bâtisse ont aménagé le parc : itinéraire, parking, buvette, rien n’a été négligé. Pour payer l’entretien du château ils organisent de gigantesques pyrotechnies, du vingt avril au vingt septembre. Mais les gens, les touristes, les globe-trotters qui viennent chaque année en nombre accru, savent-ils que ces éclairs singuliers sont réels — feux Saint-Elme, jets de gaz, geysers de flammes ? Qu’il n’y a là aucune fantasmagorie, malgré l’obscurité, ni aucun trucage ? Que Georgina gouverne pour de vrai les quatre éléments ?
*
Un soir tard, spectacle fini, qu’elle range le tableau de commande, Georgina découvre un cylindre de papier mangé d’étincelles — le dessin gribouillé du début de l’histoire. Sergio voit le chagrin de sa sœur et sa joue qui se mouille.
— C’était
quoi, Georgina, ton vœu secret, le quatrième ?
Elle montre du doigt le personnage du corsaire. Un homme grand, farouche et fort, presque achevé, à la tête raturée.
— C’est
Papa : je corrigeais son cou quand la foudre fit bouger mon poignet.
J’étais affligée d’avoir raté le dessin à cause de la décharge...
— Quel
ampérage, combien de gigavolts ?
— Je ne
sais pas Sergio, est-ce le sujet ? — Un court instant j’ai voulu revenir
en arrière, congédier l’orage, gommer le coup de crayon/coup de poignard. Mais
je n’ai pas bougé, prête à signer le pacte vague de cette fulguration. Ai-je
échangé Père, son âme et son retour contre un peu de magie et quelques
sortilèges ?
*
Un roulement de tonnerre claqua sur le donjon : augures, présage, rire de démon vengeur — ou l’Archange Gabriel ?
*
Les enfants sont étranges : comment peuvent-ils imaginer, à quatre ans, des histoires aussi cruelles ? Songer qu’une zébrure de crayon puisse diriger votre vie, votre mort ?
Essence
d’orange,
Miel
brûlé,
Douce
chaleur,
Ode en g.