Comment
voulez-vous entrer dans le siècle autrement qu’en ligne droite, cette ligne
droite qu’abhorrait Oscar Niemeyer, architecte-bâtisseur de Brasília mais aussi
de la place du Colonel-Fabien à Paris, ou du Volcan au Havre — une horreur ! —, lequel Niemeyer fit l’objet,
quatre-vingt-douze ans sonnés, d’un film que j’ai vu en avant-première à
Bruxelles, à l’équinoxe d’automne très exactement (douze heures de lumière,
douze d’obscurité, plus celle de la salle qu’affrontait l’écran), réalisé, ce
film, par quelqu’un que je connais bien et que j’aime au carré, mais allez dire
à l’ami cher que toute l’« humanité » présumée d’un architecte, tout cet amour
des courbes et des femmes, toutes ces tendresses, ne rachèteront jamais les
excès du béton, révolutionnaire ou pas, coulé souvent n’importe où, et armé
pour des lustres, ni cette piété affichée pour le petit père des peuples, mais
bon, baste ! laissons là, et entrons, tel Apollinaire,
par l’unique cordeau des trompettes marines,
dans le millénaire trois, au nom pompeux, ou le siècle vingt et un, déjà plus
banal, et posons-nous les seules questions qui vaillent quant à cette ligne de
vie — cette strie, cet alignement de signes qui courent sous l’œil et le pouce,
évocation peut-être d’un Piero Manzoni — là ça fulgure, oui ! — ou long
pilastre chu de portor entaillé (du Brancusi lyrique ?), lourd locomotiv en tout
cas, qui traînerait sur sa voie rase des wagons de mots gras, parures de
lettres serrées juste, à l’horizon borné, C centenaire par bâbord au museau majuscule, et point
d’exclamation à tribord — entendez gauche et droite, début et fin —, le tout
(attention, traversée de métaphores !) posé sur lit de cirrus, pointes d’asperges
lactées, blancs battus en neige et soupçon de sel gemme (à servir sous
Scialytique, bien sûr, mollette à donf, contraste
maxi du support pâle et de son encre bitume, demi-lunes de vue prônées à qui
goûte le foulage antique ou le grain des papiers) —, les seules questions,
donc, qui comptent : quand on écrit ainsi, au kilomètre, quel sort réserver à
l’éventuelle lettrine, où ranger la loi lointaine sur les coupures de mot, que
deviennent gouttières, justification, interlignage et gris typographique ? quid des veuves et des orphelines, et quels exils ménager au
divin paragraphe, à l’alinéa humble et au noble retrait ? que
faire des espaces insécables et du retour chariot ? — tiens, vous l’ai-je déjà
dit ? mais mon chariot préféré, qui sweet et swingue low, c’est celui d’Ursa minor, ses sept bœufs septentrion qui
brillent sur fond jais, ô nuits noires des Deux-Siciles, laques noires de la
Haute-Corse et ciels noirs du sud du Caire… mais je digresse, c’est vrai… vous
prie de m’excuser… et glisse vite ici ce qui n’est plus trop colophon, une
notice brève pleine de détails techniques : « Cette ligne longue de deux mille
un centimètres, lancée à quelques insoumis des lectures sur verre, peu preneurs
d’avenirs tracés — massivement parallèles ou rétro-éclairés —, fut conçue en
terre humaine par Éric Angelini, mise en rail par Michel Halot, ITC Stone Sans, corps 19, sous l’œil
doublement expert et plombé des sieurs Lacroux & Noskoff, puis imprimée en
décembre 2000 sur Royal digital gloss
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