«
À quelle époque l’homme
cessera-t-il de ramper dans les bas-fonds pour vivre dans l’azur et la paix du
ciel? »
À cette demande de Camille Flammarion, la réponse est
facile : ce sera à l’époque où les progrès de la mécanique auront permis
de résoudre le problème de l’aviation. Et, depuis quelques années — on le
prévoyait — une utilisation plus pratique de l’électricité devait conduire à la
solution du problème.
En 1783, bien avant que les frères Montgolfier eussent
construit la première montgolfière, et le physicien Charles son premier ballon,
quelques esprits aventureux avalent rêvé la conquête de l’espace au moyen
d’appareils mécaniques. Les premiers inventeurs n’avaient donc pas songé aux
appareils plus légers que l’air — ce que la physique de leur temps n’eût point
permis d’imaginer. C’était aux appareils plus lourds que lui, aux machines
volantes, faites à l’imitation de l’oiseau, qu’ils demandaient de réaliser la
locomotion aérienne.
C’est précisément ce qu’avait fait ce fou d’Icare, fils de
Dédale, dont les ailes, attachées avec de la cire, tombèrent aux approches du
soleil.
Mais, sans remonter jusqu’aux temps mythologiques, parler
d’Archytas de Tarente, on trouve déjà dans les travaux de Dante de Pérouse, de
Léonard de Vinci, de Guidotti, l’idée de machines destinées à se mouvoir au
milieu de l’atmosphère. Deux siècles et demi après, les inventeurs commencent à
se multiplier. En 1742, le marquis de Bacqueville fabrique un système d’ailes,
l’essaie au-dessus de la Seine et se casse le bras en tombant. En 1768, Paucton
conçoit la disposition d’un appareil à deux hélices suspensive et propulsive.
En 1781, Meerwein, architecte du prince de Bade, construit une machine à
mouvement orthoptérique, et proteste contre la direction des aérostats qui
venaient d’être inventés. En 1784, Launoy et Bienvenu font manœuvrer un
hélicoptère, mu par des ressorts. En 1808, essais de vol par l’Autrichien
Jacques Degen. En 1810, brochure de Deniau, de Nantes, où les principes du
« Plus lourd que l’air » sont posés. Puis, de 1811 à 1840, études et
inventions de Berblinger, de Vignal, de Sarti, de Dubochet, de Cagniard de
Latour. En 1842, on trouve l’Anglais Henson avec son système de plans inclinés
et d’hélices actionnées par la vapeur ; en 1845, Cossus et son
appareil à hélices ascensionnelles ; en 1847, Camille Vert et son
hélicoptère à ailes de plumes ; en 1852, Letur avec son système de
parachute dirigeable, dont l’expérience lui coûta la vie ; en la même
année, Michel Loup avec son plan de glissement muni de quatre ailes
tournantes ; en 1853, Béléguic et son aéroplane mu par des hélices de
traction, Vaussin-Chardannes avec son cerf-volant libre dirigeable, Georges Cauley
avec ses plans de machines volantes, pourvues d’un moteur à gaz. De 1854 à
1863, apparaissent Joseph Pline, breveté pour plusieurs systèmes aériens,
Bréant, Carlingford, Le Bris, Du Temple, Bright, dont les hélices
ascensionnelles tournent en sens inverse, Smythies, Panafieu, Crosnier, etc.
Enfin, en 1863, grâce aux efforts de Nadar, une Société du Plus lourd que l’air
est fondée à Paris. Là les inventeurs font expérimenter des machines dont
quelques-unes sont déjà brevetées : de Ponton d’Amécourt et son hélicoptère
à vapeur, de la Landelle et son système à combinaisons d’hélices avec plans
inclinés et parachutes, de Louvrié et son aéroscaphe, d’Esterno et son oiseau
mécanique, de Groof et son appareil à ailes mues par des leviers. L’élan était
donné, les inventeurs inventent, les calculateurs calculent tout ce qui doit
rendre pratique la locomotion aérienne. Bourcart, Le Bris, Kaufmann, Smyth,
Stringfellow, Prigent, Danjard, Pomès et de la Pauze, Moy, Pénaud, Jobert,
Hureau de Villeneuve, Achenbach, Garapon, Duchesne, Danduran, Parisel,
Dieuaide, Melkisff, Forlanini, Brearey, Tatin, Dandrieux, Edison, les uns avec
des ailes ou des hélices, les autres avec des plans inclinés, imaginent,
créent, fabriquent, perfectionnent leurs machines volantes qui seront prêtes à
fonctionner le jour où un moteur d’une puissance considérable et d’une légèreté
excessive leur sera appliqué par quelque inventeur.
Que l’on pardonne cette nomenclature un peu longue. Ne
fallait-il pas montrer tous ces degrés de l’échelle de la locomotion aérienne
au sommet de laquelle apparaît Robur-le-Conquérant? Sans les tâtonnements, les
expériences de ses devanciers, l’ingénieur eût-il pu concevoir un appareil si
parfait? Non, certes! Et, s’il n’avait que dédains pour ceux qui s’obstinent
encore à chercher la direction des ballons, il tenait en haute estime tous les
partisans du « Plus lourd que l’air », Anglais, Américains, Italiens,
Autrichiens, Français, — Français surtout, dont les travaux, perfectionnés par
lui, l’avaient amené à créer, puis à construire cet engin volateur, l’Albatros,
lancé à travers les courants de l’atmosphère.
« Pigeon vole! s’était écrié l’un des plus persistants
adeptes de l’aviation.
« On foulera l’air comme on foule la terre! avait
répondu un de ses plus acharnés partisans.
— À locomotive, aéromotive! » avait jeté le plus bruyant de
tous, qui embouchait les trompettes de la publicité pour réveiller l’Ancien et
le Nouveau Monde.
(...)