Trésors & naufrages
« Bonsoir à tous et
bienvenue sur le plateau de « Souriez,
vous êtes filmés » ! Notre première émission de l’année
comportera son lot habituel de chutes et de maladresses, bien sûr – et ce sera encore
plus drôle que les bêtisiers de fin d’année, vous allez voir ! En effet,
nous boirons la tasse, nous aussi, car nous irons jeter un œil sous l’eau avec
quelques chasseurs de trésors sous-marins et autres pilleurs d’épaves !
Avant
d’en arriver là, le rappel de l’adresse à laquelle vous devez nous envoyer vos
cassettes pour figurer dans l’émission : nous vous ferons une pub d’enfer
et vous deviendrez instantanément célèbres, allez-y à fond ! — « Souriez, vous êtes filmés »BP6, Schaerbeek 6, 1030 Bruxelles.
Vous
savez combien de bateaux ont sombré en tout depuis que les hommes
naviguent ? Plus de 40.000 ! Et combien ont fait l’objet de
recherche ? À peine 2 ou 300 ! C’est vous dire qu’il reste encore de
quoi travailler ! Dès qu’il fera un peu plus chaud, sautez sur vos masque,
palmes, tuba — et plongez ! On ne sait jamais !
On
se retrouve après ça...
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« Kip Wagner est un nom que tous les
chercheurs de trésors connaissent bien. C’est un des premiers civils qui se
dota d’un détecteur de métaux. Il l’avait acheté dans un surplus de l’armée
américaine à la fin des années 50. Un ouragan venait en effet de redessiner
complètement une portion de la côte est de la Floride, non loin de Cap
Canaveral. Il y découvrit les restes d’un campement espagnol plus quelques
pièces d’or et d’argent. Il en déduisit qu’un naufrage avait eu lieu juste en
face.
L’invention
du scaphandre autonome lui permit de monter une expédition sous-marine quelques
années plus tard, au tout début des années 60.
Lui
et ses amis découvrirent très vite un fabuleux trésor : croix incrustées
de pierres précieuses, lingots, chaînes en or, perles, escudos, doublons,
plaques d’argent — ainsi qu’une énorme quantité de porcelaine chinoise en très
bon état... Tout cela venait d’un galion espagnol coulé en 1715 par un autre
ouragan. Son histoire après ceci...
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« Les
restes du galion qu’avait découvert Kip
Wagner étaient ceux du El Capitana,
un bâtiment d’origine anglaise, ex-Hampton
Court, qui avait été capturé puis débaptisé par les Espagnols. Le El Capitana reconduisait en Espagne la Flotte d’Argent, soit un ensemble de
six navires bourrés d’or, d’argent, de cacao, de perles et de porcelaine
chinoise — cette dernière ayant déjà traversé tout l’océan Pacifique avec la Flotte des Philippines puis tout le
Mexique à dos d’âne ! Ce genre de convoi, très protégé par la marine de
guerre, revenait chaque année des colonies vers l’Europe. La Flotte d’Argent se
rassemblait à la Havane, contournait l’île de Cuba et chevauchait le Gulf
Stream jusqu’à mi-Atlantique. Là on obliquait vers Cadix.
Malheureusement,
cet été de 1715 fut fatal à La Capitana
— ainsi qu’à son commandant. Le 31 juillet, à 4 heures du matin, un énorme
ouragan coulait en quelques instant la totalité des
vaisseaux. La moitié seulement des 2.500 marins de l’expédition trouva refuge
sur la côte.
À
l’endroit que redécouvrit, justement, deux siècles et demi plus tard, Kip Wagner...
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« L’image
du galion espagnol chargé d’or, attendant qu’on l’exhume, est trop romantique.
Et puis l’intérêt pour ces « fortunes
de mer », comme on dit, varie selon les points de vue. L’archéologue, par exemple, sera tout
aussi intéressé par un chargement de plomb, ou de céramiques, que par la
structure même du bateau — du moins ce qu’il en restera. Les marins, eux, verront d’abord le drame
épouvantable qu’est toujours un naufrage : un navire qui coule, même à
proximité d’une côte, et c’est la fin du monde pour ses occupants ! Pour
d’autres ce sont les images des sauveteurs
qui seront évoquées en premier : Pete Goss
portant secours à Raphaël Dinelli,
par exemple, lors du Vendée Globe, il y a 5 ans.
L’amoureux
de la nature, lui, apprenant qu’un
pétrolier s’est échoué, puis brisé sur des récifs, sera plutôt furieux à
l’annonce d’une nouvelle marée noire
Mais
les mythes ont la vie dure et le fonds des mers, avec ou sans trésors, attire
de plus en plus d’amateurs en quête d’aventures.
Voici
une autre histoire de voile, regardez !
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« La grande pyramide des abysses » —
c’est ainsi que Robert Ballard, l’homme qui l’a repérée,
découverte, et photographiée pour la première fois, a défini l’épave du Titanic. C’est probablement la plus
célèbre du monde — et l’une des plus inaccessibles : elle gît, coupée en
deux, à 4 kilomètres sous la surface des eaux. À cette profondeur l’eau est
très peu salée, l’oxygène rare, les courants pratiquement inexistants et la
lumière totalement absente. Cela explique la bonne conservation de l’épave que
découvrit donc Robert Ballard il y a 15 ans, grâce à un nouvel appareil, le sonar à balayage horizontal. On raconte
que les cales et les coffres du bâtiments renferment
plus de 5 millions de dollars en bijoux, pierres précieuses et argent. Sans
parler de la valeur historique de tous les objets embarqués : les morceaux
de charbon des soutes du Titanic se
négociaient récemment autour de 25 euros pièce !
Tous
les objets remontés furent trouvés sur le fond marin même, autour des deux
moitiés du navire, et pas à l’intérieur. L’épave a été déclarée en effet sanctuaire international par le Congrès
américain.
Circulez,
rien à voir ! Sauf ici...
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« Les
jolis petits rats qu’on vient de voir semblent avoir été filmés à fond de cale,
non ?! Et voilà qui nous ramène à l’Andrea
Doria, un autre transatlantique célèbre qui coula en se rendant à New York.
C’était en 1956, à l’approche des côtes américaines, dans un brouillard à
couper au couteau. L’Andrea Doria —
superbe paquebot italien de 210 mètres de long et 27 de large, avec 3 piscines
et 10 ponts — fut éperonné à 11 heures du soir par un bateau suédois, le Stockholm. Le Doria mit plusieurs heures à couler, ce qui permit aux 1660
rescapés du choc d’avoir la vie sauve. L’un des premiers plongeurs qui photographia
l’épave, quelques jours après, raconta que le navire était porteur d’un
fabuleux coffre-fort.
Obsédé
par sa découverte, ce plongeur, Peter
Gimbel, fit tout pour organiser une expédition sur les lieux du naufrage.
Ce n’est que 25 ans plus tard pourtant, en 1981, qu’il réussit à remonter son
trophée. Lequel fut placé immédiatement... devinez où ? Dans la vasque aux
requins du
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« Celui
qui ne s’est pas endormi, lui, c’est donc Peter
Gimbel,— le plongeur qui remonta le coffre-fort de
l’Andrea Doria en 1981 pour le jeter
immédiatement au fond de la grande vasque aux requins de l’Aquarium de New York. Cette « attraction », entre
guillemets, resta là durant 3 ans ! Gimbel ayant fait savoir qu’il
n’ouvrirait le fameux coffre qu’au mois d’août 1984, et pas avant ! Joli
coup de pub !
Le
jour dit ce fut la ruée. On ouvrit donc le coffre-fort devant des nuées de
photographes et toutes les caméras de l’Amérique tournaient. Surprise, il ne
contenait... rien ! — à part quelques certificats moisis et de vieux
billets de 100.000 lires italiennes totalement périmés !
Le
coffre n’a pas bougé — il est toujours dans l’Aquarium de New York. Quant à
l’Andrea Doria, sa réputation aujourd’hui est d’être l’Everest des plongeurs. Situé à 65 mètres de profondeur, difficile
d’accès, il est défendu par de forts courants, de dangereux requins — en
liberté, ceux-là, — et de longs paliers de décompression...
Brrr !
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« Re-bonsoir
à tous, et re-bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés » pour la 2e partie de l’émission
consacrée aux naufrageurs, aux épaves et aux trésors engloutis qui attendent au
fond de l’eau que quelqu’un veuille bien les remonter, pourquoi pas vous ?
— Un Belge s’est illustré naguère dans ce sport, Robert Stenuit, lequel
explora le premier la Girona,
célèbre galéasse napolitaine enrôlée dans l’Invincible
Armada. La Girona coula près des côtes irlandaises en octobre 1588, à la
suite d’une tempête. Robert Stenuit se documenta
sur l’Invincible Armada espagnole, fouilla toutes sortes d’archives pendant 8
ans puis découvrit ce qu’il cherchait. En 1967 et 1968 il exhuma ainsi plus de
12.000 objets, dont les plus beaux sont exposés désormais dans le Musée de
l’Ulster à Belfast.
Le
plus émouvant de ces objets fut pour Stenuit
une simple bague, offerte avant le départ à l’un des jeunes hidalgos de
l’expédition par sa fiancée : l’anneau portait ces simples mots, gravés
dans l’or : « Je n’ai rien de
plus à te donner ». En chaton, une petite main tenant un cœur...
Snif !
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« Mais
au fond, direz-vous, à qui appartient une épave ? Quel est son statut
légal ? Il faut d’abord faire la distinction entre navire et cargaison. Les
propriétaires sont souvent différents. Il faut ensuite voir si le bateau était assuré — il se vérifie dans la plupart
des cas que c’est la compagnie d’assurance qui est propriétaire de l’épave. Il
faut donc contacter celle-ci et lui proposer un contrat. En général tous les
coûts sont à la charge du renfloueur qui convient de verser au propriétaire un
pourcentage sur ce qu’il remontera.
Les
choses se compliquent avec l’endroit où a coulé le navire. C’est le problème
des eaux territoriales. La Chine et les Philippines, par exemple, se réservent
des droits exclusifs, après un certain délai, sur les épaves trouvées dans
leurs eaux territoriales, même si la propriété d’un armateur étranger est
prouvée. En Europe on ne pratique pas ainsi. De plus, la limite des eaux
internationales est de 12 milles marins chez nous — et pas le double ou le
triple comme c’est parfois le cas ailleurs.
Mais
quand le propriétaire de l’épave est inconnu, c’est un vrai casse-tête.
Allez,
on enchaîne avec chat... ça...
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« Une
des histoires de naufrages les plus connues est celle de Robinson Crusoé. Elle fut inspirée à l’auteur, Daniel Defoe, par une histoire vraie, celle d’un Écossais, Alexandre Selkirk. Sauf que celui-ci ne
fit pas naufrage mais quitta de son plein gré son bateau !
Or donc
nous sommes en 1704, à bord du bateau « Cinque Ports ». Le
capitaine, William Dampier, est
rémunéré par la couronne britannique en tant que pirate officiel. Il est chargé de piller les vaisseaux espagnols et
de se payer sur ses prises. Mais voilà, si Dampier est un excellent
cartographe, c’est un épouvantable capitaine, à l’inverse de Selkirk, son maître des voiles. Dampier veut franchir le Cap Horn, par exemple,
en pleine saison des tempêtes— et Selkirk refuse. La manœuvre échouera 5 fois.
Finalement, profitant d’une accalmie, le « Cinque Ports » réussit à
passer. Mais le bateau est très endommagé. Au point que Selkirk, furieux,
demande qu’on le débarque à l’escale suivante. Pas de chance, l’escale en
question est en plein océan Pacifique, sur l’une des îles de l’archipel Juan Fernandez, par ailleurs inhabité.
Selkirk descend, comme promis...
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« Voici
donc notre homme, Alexander Selkirk,
fier mais penaud quand même, seul sur son île, pensant qu’on va le récupérer
bientôt. Profonde erreur. Le premier mois passe. Il y a de l’eau douce en
abondance, des chats, des chèvres — et des rats aussi, débarqués lors d’escales
précédentes, car l’île n’est pas inconnue des navigateurs, bien que située à
666 kilomètres des côtes chiliennes.
Une année
passe encore — et rien à l’horizon. Un brasier permanent est allumé au sommet
d’une colline par notre Robinson
plus ou moins volontaire. Toujours rien.
C’est
après 5 ans d’isolement total qu’un bateau anglais se manifeste enfin. Selkirk a 33 ans et est en bonne forme
physique. Le Duke le recueille donc
— c’est encore un vaisseau pirate anglais officiel.
Son capitaine s’appelle Rodgers et,
ironie du sort, le pilote n’est autre que... Dampier, l’ex-capitaine à l’origine de toute cette histoire ! Selkirk est rapidement promu capitaine
du Duke : il ramènera celui-ci
en Angleterre après une fructueuse campagne de piratage — alors que celle de
Dampier, 5 ans plus tôt, avait complètement échoué !
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« Ah
mais il ne faut pas croire que les rescapés d’un naufrage sont forcément
sauvés ! Quand on tombe à la mer et qu’on s’accroche à un bout de bois,
encore faut-il ne pas mourir de froid ! ou de
faim ! ou de soif ! ou
brûlé par le soleil ! Le plus dur c’est le manque d’eau — il ne faut pas boire
d’eau de mer car le sel déshydrate le corps et augmente encore la soif. La
nourriture, elle, ne pose pas trop de problème — on a retrouvé des naufragés
n’ayant rien mangé pendant 4 mois. En revanche, attention à ne pas se faire
manger par les autres ! C’est arrivé à bord du radeau de la Méduse, dont nous avons déjà parlé, et
aussi après le naufrage de l’Essex,
un baleinier américain qui fut coulé en 1820 par une baleine. Quelques rescapés
survécurent 3 mois aux tempêtes, aux requins et à la faim, dévorant la chair
des morts et finissant par tuer le mousse de l’équipage, Owen Coffin, pour le manger !
On
tira-za la courte paille ! on tira-za, la courte
paille ! — Pardon !
Ce
tragique épisode inspira Herman Melville
pour son célèbre roman Moby Dick,
bien sûr. On se déride avec ceci...
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« Il
y a tellement de bateaux qui ont coulé — plus de 40.000, comme on l’a vu —,
qu’on a pu dire que la mer était le plus grand musée du monde. Un tiers de tous
les métaux précieux qui furent extraits par l’homme repose au fond des eaux,
par exemple. C’est un fabuleux trésor qui aiguise bien des appétits ! Mais
il n’y a pas que les navires qui aient ainsi sombré, il y a aussi des avions,
des plate-formes pétrolières et même des centaines de conteneurs qui tombèrent
des cargos au cours des traversées océaniques !
Certaines
cargaisons flottantes ont même aidé la science. Ainsi, il y a quelques années,
des milliers de baskets coréennes de la même taille, sont-elles tombées dans le
Pacifique lors d’une tempête. Les cartons s’ouvrirent et les chaussures
flottèrent au gré des courants. Quelques semaines plus tard on les retrouva
disséminées le long des côtes américaines et canadiennes. Les lieux et les
dates d’échouages étant connus avec précision, on put cartographier les
courants.
Où
elles sont maintenant ? Aucune idée, pourquoi ?
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« L’un
des naufrages les plus célèbres est celui de l’Arche de Noé. A-t-il eu vraiment lieu ? Est-ce un mythe ?
Qui sait...
L’histoire
se serait déroulée il y a plus de 5000 ans, du côté de la Mer Noire et du Caucase, vous la connaissez : Dieu est fatigué des hommes et de leur
méchanceté. Mais il est séduit par Noé qui fait preuve de vertu. Il lui demande
donc de construire un navire et d’embarquer un couple d’animaux de chaque
espèce. Ensuite Dieu envoie le Déluge
— zou ! — pendant 40 jours, histoire de supprimer toute vie sur Terre et
de repartir à zéro— entre parenthèses, je me demande comment le Déluge a pu
noyer les poissons, par exemple, qui existaient déjà, mais bon, c’est un
détail, Dieu n’a pas le temps de penser à tout !...
Noé patiente donc un an que le niveau
des eaux descende et que la terre sèche, puis il débarque toute sa ménagerie.
D’aucuns
disent qu’il a échoué sur les flancs du Mont
Ararat, en Turquie — 5.165 m. de
hauteur, bonjour les expéditions ! D’autres affirment régulièrement qu’ils
ont trouvé l’Arche en question, mais
peau de zébu en réalité !
Quelques
histoires d’eau, encore...
(et quand zébu, zé
plus soif, je sais...)
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« C’est
avec ces glissades que nous allons devoir nous séparer. J’aurais aimé vous
parler encore des naufrageurs — ces
sympathiques personnages qui attiraient les bateaux près des récifs en allumant
des feux, la nuit ; les malheureux capitaines, dupés, y fracassaient leurs
esquifs !
Dans
le même genre il y eut le pauvre Ulysse,
bien sûr, qui faillit être victime des Sirènes :
ces dernières attiraient les marins par leurs chants afin de les dévorer.
Une autre
Sirène, en revanche — celle qu’on voit près du port de Copenhague —, sauva de la noyade un beau prince dont le bateau
avait coulé. Pour rejoindre celui-ci sur la terre ferme elle échangea sa voix
contre des jambes...
Jonas, quant à lui... Non, plus le
temps...
Allez,
envoyez-nous vos cassettes à l’adresse habituelle !
À la
prochaine !