Aviation
« Bonsoir
à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés » ! Nous allons retrouver ce
soir nos maladroits de service, quelques gentils gaffeurs aussi, et pas mal de
casse-cous complètement déjantés. Heureusement, plus de peur que de mal, tout
le monde s’en tire sans mal !
D’autres
casse-cous survoleront l’émission, ce
sont ceux qui se lancèrent il y a un siècle à l’assaut du ciel, j’ai nommé les
pilotes d’aéroplanes — c’est comme ça qu’on disait à l’époque. Ils ont bien du
mérite aujourd’hui aussi, avec les événements qu’on sait, et leur histoire
mérite un coup de chapeau.
Avant
tout, le rappel de l’adresse à laquelle vous devez nous envoyer vos cassettes
pour figurer dans l’émission : « Souriez,
vous êtes filmés »BP6, Schaerbeek 6, 1030 Bruxelles.
Donc
l’histoire de l’aviation.
Commence-t-elle
avec Icare et ses ailes de plumes en
Grèce, ou sous la plume, justement, de Léonard
de Vinci quelque part en Italie ? On
se retrouve après ces quelques vols planés...
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« Icare et Vinci n’ont jamais volé... Le premier à s’élever dans les airs fut
François Pilâtre de Rozier, un aéronaute
français, installé dans une nacelle sous une montgolfière — laquelle était
prudemment fixée au sol grâce à un câble d’une dizaine de mètres. Cela se
passait en octobre 1783, dans les jardins de Versailles, sous les yeux ébahis
de Louis 16.
Il y
eut ensuite Henri Giffard, en 1852,
qui inventa le mot dirigeable et
l’appareil du même nom. C’était un demi-siècle avant les machines de Zeppelin. Le ballon de Giffard faisait
du 10 km/h et pouvait être conduit, grâce au moteur de 3 chevaux, où le voulait
son pilote. Malheureusement son dirigeable ne l’était pas du tout, dirigeable, au moindre souffle de vent —
et il fallut trouver autre chose.
Cet
autre chose fut l’avion, mot crée
par Clément Ader sur le latin avis, oiseau. C’est avec son Éole qu’eut lieu en octobre 1890 le
premier vol d’un « plus lourd que
l’air », comme on disait, qui ne soit ni catapulté, ni lancé dans une
pente. Ader ne s’éleva que de 20 cm
et sur 50 mètres seulement. Pas très convaincant. ..
C’est
alors que Wilbur et Orville... Après ceci...
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« C’est
à Wilbur et Orville Wright que
beaucoup attribuent aujourd’hui la paternité du premier vol « autopropulsé, entretenu et contrôlé »
— comme disent les historiens. Auparavant — y compris les modèles Éole, Avions II et Avion III de Clément Ader — on
ne pouvait parler que de vols planés se terminant plus ou moins bien et de
sauts de puce à la limite du gag... Avec les frères Wright il s’agit d’autre chose. Ces fabricants de bicyclettes sont
des pros. Déjà, ils testent en soufflerie leurs modèles, avant de les lancer,
ce qui est révolutionnaire. Ensuite ils se préoccupent des commandes de vol : pour eux un appareil, ça se pilote. Ils
essaient donc leur système de commandes sur des planeurs. Pareil pour le moteur et les hélices : ce sont des bricolages maison améliorés sans cesse. Quand tout semble au point, ils
décident de se lancer, sur un bout de lande désert de Caroline du Nord.
Nous
sommes le 17 décembre 1903, il est dix heures et demie du matin et les frères Wright vérifient que le photographe,
amené sur les lieux, est prêt. On lance le moteur, Orville se met aux commandes et...
...non,
pas de bagage à main, Mr Orville !
Dépêchons !
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« Nous
sommes donc à Kitty Hawk, en
Caroline du Nord. Orville Wright est aux commandes du Flyer, le premier modèle des deux
industriels en bicyclettes. Un petit vent souffle de face, et à 10 h 35 du
matin, ce 17 décembre 1903, c’est le premier vol humain motorisé digne de ce
nom. On l’applaudit !
Il y
en aura quatre autres ce jour-là, et le dernier sera le plus beau : 260
mètres de long, 59 secondes de vol à 48 km/h. Orville et Wilbur Wright sont entrés dans l’histoire.
En
deux ans leur appareil sera perfectionné et réalisera sans problème des vols
longs et contrôlés. Les deux frères troqueront alors leurs habits d’inventeurs
et de pionniers pour ceux plus discrets mais plus rentables — pensent-ils —, de
vendeurs d’avions.
Ils
se tourneront, comme souvent dans ces cas là, vers l’armée, lui proposant leur
appareil comme moyen de reconnaissance aérienne. Au début, celle-ci hésite, car
l’époque est riche en ingénieurs farfelus et en charlatans. Il faudra attendre
1909 pour que le Wright devienne le
premier avion militaire au monde...
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« Et
l’histoire de l’aviation en Belgique ?
Elle se résume à quelques vols en ballon sans relief particulier, jusqu’à
l’année 1874 où l’on enregistre le premier véritable essai de machine volante.
Cela se passe à Londres où le
Brugeois Vincent de Groof veut
tester son invention en s’élançant d’un ballon captif. Il s’écrasera au sol et
mourra.
Bien
des années plus tard, en 1910, un Anversois, Jan Olieslagers, deviendra recordman du monde d’altitude en
grimpant à 1524 mètres. Cela se passait à l’hippodrome de Stockel, non loin de la capitale.
Mais
c’est César Battaille, de Basècles, qui construisit le premier
appareil 100% belge en 1911. Ce fils d’industriel était tombé amoureux des
avions lors d’un meeting aérien à Tournai,
deux ans plus tôt. S’inspirant des modèles existants, il travailla
d’arrache-pied jusqu’à ce fameux 16 août 1911 où il fit voler la première
machine aux couleurs de notre pays, un triplan. Après la première guerre
mondiale, l’officier Battaille abandonna
l’aviation proprement dite pour se consacrer à la sculpture, passe-temps
nettement moins dangereux...
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« L’un
des personnages les plus célèbres de l’aviation balbutiante est Louis Blériot. C’est lui qui dessina et
construisit en 1907 le premier monoplan
du monde. Il décida, en 1909, de répondre au défi lancé par le Daily Mail, un quotidien populaire
anglais, qui offrait 1000 livres à celui qui franchirait le premier la Manche en aéroplane.
Les
conditions météo semblent bonnes le 25 juillet. À 4 heures 1/2 du matin, Blériot est prêt. Il demande au
correspondant du Daily Mail dans quelle direction se trouve Douvres et il s’envole. Après 30
minutes de vol au jugé, l’aviateur aperçoit les falaises de Douvres. Il se pose
dans une prairie en brisant son hélice. La foule arrive, ainsi que les
douaniers anglais qui lui demandent s’il n’a rien à déclarer !
Ce
vol historique de 37 minutes marquera les esprits. Blériot deviendra célèbre et entamera une brillante carrière de
constructeur d’avions. Sa société, qui fabriquait à l’origine des phares de
voiture, assemblera plus de 10.000 avions pour l’armée française durant la
première guerre mondiale, dont le fameux chasseur Spad.
Quelques
jeux d’eau, à présent...
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« Un
autre héros de l’aviation doit sa célébrité à un vol au-dessus de l’eau :
c’est Charles Lindbergh, premier
pilote à franchir l’Atlantique d’un bond, entre New York et Paris.
Lindbergh a 25 ans, il est livreur de courrier par avion et pilote acrobatique,
mais il a entendu parler d’une prime de 25.000 dollars offerte par un mécène au
premier qui reliera ces deux villes sans escales.
Lindbergh
n’est pas le premier venu, c’est un pilote expérimenté qui fera construire son
avion sur mesure pour la tentative. Il s’agit, en fait, d’un énorme réservoir
d’essence muni de deux ailes : plus de 1.700 litres, placés à l’avant qui
l’empêchent de voir le nez de l’avion et qui l’obligent à se munir d’un
périscope de visée !
Le Spirit of Saint-Louis décolle le 20 mai
1927 à l’aube et hisse difficilement ses 2 tonnes 1/2 dans les airs. La grande
aventure commence, avec pour seul instrument de navigation un compas
magnétique : il n’y a pas de radio à bord !
Outre
les crampes et les orages, il lui faudra vaincre l’inquiétude et le sommeil...
On regarde ça d’abord...
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« Nous
retrouvons la seconde partie de « Souriez
vous êtes filmés » avec le beau Charles — Charles Lindbergh —, à bord de son frêle coucou au dessus de l’Atlantique, apercevant
soudain un petit bateau à proximité des côtes d’Irlande. Charles comprend qu’il est pile sur la trajectoire prévue,
il faut dire que c’est un navigateur hors pair, voici d’ailleurs les lumières
de la Tour Eiffel qui brillent dans
la nuit !
Lindbergh
se posera au Bourget, à 22 h 21,
après un vol de 33 heures et demie à 188 km/h de moyenne. Il sera accueilli en
héros par une foule de 300.000 personnes et deviendra mondialement célèbre.
Après un passage à Bruxelles avec
son Spirit of St Louis, il rentrera
aux États-Unis où son triomphe sera
plus grand encore.
Charles Lindbergh aura une existence
mouvementée : enlèvement puis meurtre d’un de ses enfants, exil en Europe, sympathies pro-allemandes au
début de la guerre, prise de conscience après Pearl Harbor, pacifisme, défense de la nature. Lui, le pionnier de
l’aviation, finira par lutter à la fin de sa vie contre les avions
supersoniques — et le Concorde en
particulier —, au nom de l’écologie.
...on
veut rentrer à la nage, Mr Lindbergh ?
Je vous en prie...
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« Et
les femmes, me direz-vous ? Eh
bien les femmes ont succombé très vite aux charmes de l’aviation. La sculptrice
française Thérèse Peltier, par exemple, fut la première à
grimper dans un aéroplane : comme passagère, d’abord, en 1908, à bord d’un
Voisin piloté par Léon Delagrange à Milan — comme aviatrice
ensuite, aux commandes d’un autre Voisin,
mais à Turin cette fois.
En
Belgique, il y a Hélène Dutrieu,
surnommée la « femme épervier » tellement elle prend de
risques dans les meetings aériens qu’elle donne en Europe. Certaines de ses
cascades, dont les piqués, sont
tellement époustouflantes qu’elles sont immédiatement interdites par les
autorités.
Mais
la plus célèbre restera probablement Amelia
Earhart, détentrice de plusieurs records, dont celui de la première
traversée de l’Atlantique en solitaire par une femme. Amelia disparaîtra dans
le Pacifique lors d’une tentative de tour du monde en Lockheed Electra — tour du monde entamé vers l’est à Los Angeles en mai 1937 et tragiquement
interrompu le 2 juillet alors que l’essentiel était fait . Elle avait 40 ans et
l’Amérique perdait là une figure de légende...
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« Une
autre figure de légende est celle de Chuck
Yeager, le premier homme ayant franchi le mur du son. Cela se passait en
octobre 1947 à Muroc, non loin de la
base d’Edwards, en Californie. Quelques pilotes avaient
approché la vitesse du son déjà, mais leur appareil devenait incontrôlable, se
disloquant même parfois. La limite des 340 mètres par seconde — soit 1.200 km/h
environ — semblait infranchissable. Le matin du 14 octobre, Chuck Yeager grimpa donc dans un B29 superforteresse
comme passager — avion sous lequel était fixé son Bell X-1, sorte d’obus-fusée à réaction imitant une balle de fusil.
À 6.000
mètres d’altitude, Yeager passe dans
l’habitacle étroit de l’engin. Il s’est cassé deux côtes la veille en faisant
la java avec ses potes pilotes d’essai, mais n’a rien osé dire à ses
supérieurs.
Le
largage a lieu et Chuck pousse les
commandes à donf. Il franchit Mach 1
pour la première fois au monde et produit un « bang » supersonique
qui sera entendu dans tout le désert de Mojave. Son appareil, baptisé du nom de
sa femme, « Glamourous Glenny »
deviendra aussi célèbre que lui...
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« C’est
à 12 ans, malgré l’interdiction de Maman,
qu’Antoine de Saint-Exupéry reçoit
son baptême de l’air dans l’avion d’un ami de la famille. L’enfant est
subjugué, mais il ne choisira vraiment le métier d’aviateur qu’après son
service militaire.
En
1926, à 26 ans, il est pilote pour ce qui deviendra l’Aéropostale. C’est là qu’il rencontre les personnages hauts en
couleur qui sont évoqués dans ses romans les plus célèbres, Courrier Sud, Vol de Nuit et Terre des
Hommes.
Mais
son œuvre la plus connue est évidemment le Petit
Prince, qu’il illustrera lui-même. C’est à ce jour le plus fort tirage
français de tous les temps, juste devant l’Étranger
de Camus, plus de 9 millions
d’exemplaires.
Saint-Ex disparaîtra entre la Corse et Marseille en juillet 1944, lors de la dernière mission de
reconnaissance aérienne qu’il devait accomplir, son unité devant être dispersée
le lendemain. Il disparaîtra une seconde fois en mars 2002, avec les billets de
50 francs français, quand arrivera l’euro...
...mais
ce n’est pas grave, l’essentiel est invisible pour les yeux...
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« De
quand date le transport aérien tel que nous le connaissons ? Certains le
font remonter aux dirigeables,
lesquels transportèrent bien quelques passagers payants, au début du siècle, ou
à Igor Sikorski dont le quadrimoteur
« Bolchoï », essayé en
1913, pouvait accueillir 8 personnes, mais il semble qu’il faille plutôt
retenir l’année 1914.
Entre
janvier et avril de cette année-là, en effet, le jeune Tony Jannus, âgé de 25
ans, transporta 1.205 passagers en tout entre St Petersburg et Tampa,
deux localités de Floride séparées
par une baie. Son appareil était un hydravion Benoist 14 et l’unique
place coûtait 5$. Les passagers, ravis, gagnaient 3 heures par rapport au
bateau et 15 par rapport au train. Mais en avril, la municipalité cessa de
subventionner l’expérience et la « Tampa—St-Petersburg
Airline » devint ainsi la première compagnie aérienne au monde à faire
faillite !
Elle
fut imitée... hum... par quelques autres...
... on
boucle sa ceinture, et on la serre de quelques crans, merci !
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« Le
personnage incontournable de l’histoire de la conquête de l’air, est le passager clandestin. Il est difficile
de dire qui fut le premier d’entre eux. Il y en a qui prétendent que ce fut le
jeune Fontaine, lequel sauta, au
dernier moment, dans la nacelle d’une mongolfière pleine d’aristocrates, à Lyon, avant la révolution. D’autres
racontent l’histoire d’un certain Le
Bris, qui, sur la plage de Douarnenez,
en 1856, voulut essayer un planeur placé sur une charrette attelée. Le cocher
tenait l’engin par une corde tout en fouettant le cheval. L’engin prit l’air,
paraît-il, avec le cocher, qui ne réussit pas à se défaire du lien !
La
plus belle histoire est celle d’Arthur Schreiber,
un journaliste américain qui embarqua clandestinement dans l’« Oiseau Canari » en 1930, pour
suivre la première traversée française de l’Atlantique Nord. Les deux pilotes
et l’opérateur radio s’étaient étonnés de la difficulté à faire décoller l’avion.
Mais ils furent plus étonnés encore quand le journaliste se montra ! Il
était trop tard pour faire demi-tour, et l’atterrissage, 29 heures plus tard,
de l’autre côté de l’océan, fut asse mouvementé — surtout pour
l’Américain !
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« Le
premier tour du monde complet sans escale et sans ravitaillement en vol fut
réalisé le 23 décembre 1986, par un équipage mixte, Jeana Yeager et Dick Rutan, à
bord de « Voyager », une
sorte d’immense libellule blanche ultra-légère et fine de 40 mètres d’envergure.
L’appareil avait décollé 9 jours auparavant de la base d’Edwards, en Californie
et avait été conçu spécialement pour le record. Il ne pesait qu’une tonne à
vide mais les 17 réservoirs aménagés dans les ailes et le fuselage, furent
remplis de 3 tonnes de carburant supplémentaires. Le décollage fut laborieux,
utilisant presque la totalité de la piste, longue de 4 km 1/2, mais le reste du
vol se passa plutôt bien, malgré un typhon, plusieurs orages, un bref arrêt du
moteur principal, l’inconfort du cockpit et la fatigue. Au total, le « Voyager » et ses deux fous volants
auront parcouru 42.212 km, terminant presque sur la réserve : il n’y avait
plus que 48 kg de combustible dans le dernier réservoir, sur les 3 tonnes
emportées !
Bravo
mademoiselle Yeager, et à vous aussi
monsieur Rutan — ainsi qu’à votre
frère qui dessina l’engin !
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« Voilà,
c’est avec cette dernière culbute que nous allons prendre congé des merveilleux
fous volants qui ont illustré cette émission avec leurs drôles de machines.
Si
vous avez des images intéressantes, n’oubliez pas de nous les envoyer à
l’adresse habituelle, « Souriez,
vous êtes filmés », BP 6, Schaerbeek 6, 1030 Bruxelles.
J’aurais
aimé vous parler encore de Bryan Allen,
qui traversa le premier la Manche en
bicyclette volante — souvenez-vous, c’était le Gossamer Albatros, en 1979, une sorte de cage à poule emballée dans
du plastique —, ou de Kanellos Kanellopoulos, lequel détient toujours
le record du monde de vol humain assisté par mollets cyclistes, avec les 115 km
qui séparent la Crète de l’île de Santorin — c’était en 1988 et son engin
s’appelait « Dédale », en
hommage à Icare...
Mais
nous n’avons plus le temps ! Ce simple tapis volant, bien plus efficace,
m’attend pour de nouvelles aventures : à la prochaine !
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[Note à
ceux qui auront eu la patience de lire jusqu’ici : on trouvera là ce
qu’écrivait Jules Verne en 1886 dans Robur-le-Conquérant].