La photographie
« Bonsoir
à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez,
vous êtes filmés ! » Un plateau placé sous le signe du printemps, lequel commence demain —
comme vous savez —, jour magique s’il en est, car divisé en 2 moitiés égales,
l’une de lumière et l’autre d’obscurité...
Ça
s’appelle le solstice — et rien n’est
plus indiqué pour entrer dans le vif du sujet, que cette ombre et cette
lumière, ce noir et blanc : Mesdames et Messieurs, je vous prie
d’applaudir... la Photographie !
[...]
Photographie sans laquelle nous ne
serions pas ici, car avant de faire bouger toutes ces belles images en couleur,
il fallut les fixer !
Tout
commence au 13e siècle. Quelques alchimistes constatent que des sels d’argent
noircissent...— Non ?! L’adresse d’abord ? D’accord...
Envoyez-nous
donc vos images animées, drôles et tout, à l’adresse habituelle, celle qui
noircit ici, en négatif. On se retrouve après notre première séquence, toute en
plaies et en bosses : play, boss !
_______________
« Donc
la photo ! Cette nouvelle technique fut officiellement et très
solennellement présentée en août 1839 à Paris par Monsieur Daguerre. Mais cette date est
trompeuse, et l’on sait aujourd’hui qu’on ne peut attribuer à une seule
personne l’invention de toutes les techniques que recouvre le mot « photographie ».
— au
13e siècle, comme on l’a vu, on sait que les sels d’argent noircissent à la lumière.
— en
1515 Léonard de Vinci décrit le principe de la « camera obscura » :
en perçant un petit trou dans une boîte en carton, on obtient, au fond de la
boîte, l’image inversée de ce qui est devant elle.
—
depuis 1780 environ, on dessine au pantographe,
avec une extrême précision, la silhouette d’un visage de profil, grâce à une
bougie et à un écran semi-transparent.
Mais
c’est en 1822 que Nicéphore Niepce
prend véritablement la première photographie du monde : une table, un coin
de nappe et quelques fruits...
D’autres
animaux savants à présent !
_______________
« Les
Français s’attribuent donc la paternité de l’invention de la photographie, mais
les Anglais avancent, avec quelques arguments, le nom de William Henry Fox Talbot, lequel mit au point en 3 ans, de 1838 à
1840, toute la chimie du développement photographique, du fixage des images, du
négatif sur papier et du tirage du positif... Nous ne trancherons pas ici cette
polémique. Tirons plutôt notre chapeau à l’ensemble de tous ces
chimistes-mécaniciens obstinés, et à Daguerre,
l’associé de Niepce, qui fut en plus
un commerçant hors-pair.
Après
sa présentation à Paris, l’invention se répandit à une vitesse
stupéfiante : en dix ans pratiquement tous les endroits du globe avaient
été photographiés ! Une des raisons de ce succès tient au fait que le
gouvernement français acheta l’invention de Daguerre pour — je cite : « En
faire don au monde ! » Ainsi personne ne paya jamais pour
utiliser sa technique et produire d’autres
« daguerréotypes ». Quelques chutes sans gravité à
présent ! Souriez !
_______________
« Ceux
qui firent la tête, en voyant débarquer la photographie, ce furent les dessinateurs et les peintres ! Ils risquaient de
perdre leur clientèle bien sûr, composée souvent de bourgeois, lesquels, avides
de respectabilité, commandaient quantité de portraits.
Eh
bien c’est ce qui arriva !
Au
début les peintres moquèrent les photographes, qui exigeaient de leurs nouveaux
clients qu’ils posent des dizaines de minutes sans bouger. Au point parfois de
garder les yeux fermés. Mais très vite ils déchantèrent. Car la technique
s’améliorait à toute vitesse.
On
se mit à fabriquer des lentilles qui laissaient entrer dix fois plus de
lumière, on conçut des émulsions beaucoup plus sensibles, on miniaturisa les
boîtes de prise de vue...
De nombreux
peintres, dessinateurs, caricaturistes et graveurs s’improvisèrent alors
photographes et ouvrirent des ateliers.
Aujourd’hui on ne rencontre presque plus de
peintures en art contemporain.
Les photographies foisonnent, en revanche, tirages limités ou non, atteignant
des prix insensés...
Qui veut un petit portrait ?
Portrait à vendre ! Qui veut... »
_______________
« Une
des photographies les plus célèbres au monde a été réalisée sans objectif, sans
pellicule et même sans appareil ! Il s’agit de ? ... du ? ... du
Suaire de Turin, bien sûr, qui
présente la particularité d’être aussi le premier négatif de l’histoire !
Le
suaire est un tissu de 4 mètres 36 de long exactement et de 1 mètre 10 de
large. On prétend qu’il servit à envelopper le corps du Christ à sa mort, et
que ledit corps y laissa son empreinte.
Son
histoire médiatique commence en mai 1898, quand l’avocat et photographe d’art Secundo Pia prend les deux premiers
clichés du linceul. Alors qu’il développe son négatif, il voit apparaître un
visage d’une netteté étonnante. Ce premier « portrait du Christ » — entre guillemets —, fit immédiatement
le tour du monde.
Le suaire est apparu pour la première fois
en 1357 près de Troyes, en France. Rien n’indique que la personne enveloppée
dans ce linge fut bien le Christ. Une analyse chimique de ses fibres par la
méthode du carbone 14 a d’ailleurs démontré en 1988 que ce tissu ne pouvait pas
être antérieur à 1260 ! La vraie photo du Christ reste donc à faire !
Avis aux amateurs !
_______________
« Nous
n’en avons pas fini avec le religieux et la photo... Vous connaissez tous le
prénom « Véronique » ?
Savez-vous que c’est celui qu’on donne, dans la légende chrétienne, à la femme
qui aurait essuyé le visage du Christ lors de sa montée au Calvaire ?
L’empreinte du divin visage se serait, comme pour le suaire, imprimée sur le
linge. Il n’est pas à Turin, lui, mais dans la cathédrale Saint-Pierre, à Rome.
Le
rapport avec Véronique ? Son nom
viendrait du latin « vera icon
», la vraie image — vera-icon’
/ véron’-ica...
La
Sainte ayant prit ce cliché sur tissu a donné son nom à une passe qu’on
pratique toujours en tauromachie :
on faisait, à l’origine, une véronique
en présentant la cape à deux mains, face au taureau...
Olé !
Véronique
c’est aussi le nom d’une fleur
bleue, une dicotylédone
scrofulariacée arbustive — ou
herbacée —, comportant de nombreuses espèces dont le mouron d’eau, le cresson de
cheval et le thé d’Europe. Vous
les voyez autour de moi par la magie de la photo... Véronique-nique-nique...
_______________
« La
photographie, née de la science, allait lui rendre d’immense service. Et
d’abord sous la forme de documents
objectifs.
C’est
vers l’Orient qu’il faut se
retourner pour trouver les premières missions documentaires photographiques
dignes de ce nom. Souvenez-vous, Champollion
avait rapporté d’Égypte de
magnifiques dessins, plans et aquarelles en 1829 : vingt ans plus tard à
peine naissait la « photographie
scientifique »...
Des personnages intrépides, hauts en couleur,
bardés de matériel, furent en effet attirés très tôt par l’exotisme des bords
du Nil. Le prétexte en était l’archéologie.
C’est ainsi qu’en 1850 le photographe français Maxime Du Camp, accompagné de Gustave Flaubert,
entreprit de fixer avec méthode tous les temples, monuments et paysages
rencontrés...
Ce
voyage en Orient dura 2 ans. Maxime du Camp rapporta un 150
« calotypes » superbes, comme on disait, lesquels feront de lui l’un
des premiers reporters-photographes
de l’époque.
Très
vite on mettra les émulsions photographiques derrière les lunettes
astronomiques et les microscopes, mais c’est une autre histoire...
_______________
« La
photo amateur remonte à 1889, date de
commercialisation du premier appareil Kodak.
Ce mot « Kodak », fut crée de toutes pièces par l’américain Georges Eastman : il voulait un son qui ne
ressemble à rien de connu, dans aucune langue, et qui puisse être facilement
mémorisé.
L’idée géniale de George Eastman consista à
vendre des petites boîtes en bois, munies d’un objectif simple et préchargées d’un rouleau de 100 photos. Quand on arrivait
au bout du rouleau, on renvoyait l’ensemble boîte + pellicule à l’usine. Pour
10 dollars Eastman vous ré-expédiait les négatifs,
les tirages sur papier et l’appareil rechargé. Les photos étaient rondes, d’un
diamètre de 6,5 cm. L’objectif n’ouvrait qu’à 9, ce qui interdisait
pratiquement la photographie en intérieur, et le temps d’obturation était
invariable : 1/20e de seconde. Mais cela fonctionnait bien. Le slogan,
génial lui aussi, résumait bien les opérations : « Appuyez sur le
bouton, nous faisons le reste ». Adieu les plaques de verres, fragiles,
encombrantes, lourdes et chères, vive les scènes familiales, comme ici !
_______________
« Les
premières photographies au flash
furent prises par le célèbre Nadar,
en 1860, dans les catacombes et les égouts de Paris. C’est le même Nadar — de
son vrai nom Félix Tournachon
— qui avait pris la première photo
aérienne, en 1856, à partir d’un ballon. Et c’est encore lui qui
représentait Kodak en Europe. Quant aux barrières du même nom, ne me demandez
pas pourquoi elles s’appellent comme ça...
En
1862 sont produites les premières microphotographies.
Lors du siège de Paris par les Prussiens en 1871, 18.000 dépêches seront ainsi microphotographiées sur 6 rouleaux de pellicule, pour un
poids total d’un demi gramme, et expédiées à l’extérieur, attachées au cou d’un
pigeon.
La
photographie en relief, elle, sera
très tôt d’actualité, puisqu’on produira des stéréogrammes — deux photos côte à côte, destinées chacune à un
seul œil — dès 1850. Baudelaire dira
des trous du stéréoscope qu’ils sont
« comme des lucarnes sur l’infini »... Moi je suis prêt, c’est quand on veut,
hein ! »
_______________
« L’histoire
de la photographie en couleur
commence avec Isaac Newton,
probablement, qui décomposa la lumière du soleil en un beau spectre arc-en-ciel
un jour de 1669, dans une camera oscura géante. Mais fixer la couleur fut beaucoup plus
difficile à faire que le noir et blanc. Un premier brevet fut déposé par Louis Ducos du Hauron
en novembre 1868 mais ce n’est que 10 ans plus tard qu’il produisit ses
premières « trichromies », assez modestes, il faut le dire...
Ce
désir, partagé par beaucoup, de rendre en photographie — puis sur papier — ce
que l’œil percevait réellement, conduisit à une série d’invention et de
procédés aux noms plus poétiques les uns que les autres. Accrochez-vous : heliochromy
et kromscop
par Frederick Ives, chromographoscope,
mélanochromoscope
et omnicolor par Ducos du Hauron,
photochromie de Léon Vidal, ozotypie de Manley,
mucilages bichromatés par les frères Lumières — lesquels tirèrent finalement
le jackpot en 1904 avec leurs plaques
autochromes...
Quelques
chutes en couleur, à présent !
_______________
« Tiens,
à propos de la couleur : comment ce serait si on voyait le monde
uniquement en noir et blanc ? On devrait pouvoir inventer des lunettes, parfaitement transparentes,
qui supprimeraient la couleur, non ?! Mmmmh, il
y a peut-être une idée, là ! Et un petit brevet... attendez ! [...]—
Voilà !
L’histoire
du Polaroïd — à propos de brevet —
n’est pas mal. On la doit à un ingénieur américain, Irwin Land. Il rêvait d’avoir un appareil qui produise automatiquement
des photos, sans l’intermédiaire du laboratoire. Quand son invention fut au
point, il alla la proposer chez Kodak
— qui n’y crut pas un instant et le refoula. 20 ans plus tard 14 millions
d’appareils Polaroïd à développement instantané avaient été vendus dans le
monde ! En 1972 la technique fut même complètement automatisée et adaptée
à la couleur : toute l’opération ne prenait que 2 minutes. Comprenant son
erreur Eastman-Kodak décide de se lancer sur ce marché. Sauf que...
Boum !, en 1990, cette société fut condamnée à payer 909,5 millions de
dollars à sa concurrente pour s’être inspirée de son procédé... Pour mon idée
de lunette, je suis prêt à négocier...
_______________
« Une
des particularité de la photographie naissante, fut de montrer des choses que
l’œil humain n’avait jamais vues. Les taches à la surface du soleil par
exemple, ou les ondes de chocs d’un projectile. Une belle histoire est celle de
Muybridge, photographe californien à
Palo Alto. Un richissime amateur de chevaux s’adresse
à lui pour régler un vieux débat : un cheval au galop, au cours d’un bref
instant, est-il oui ou non suspendu en l’air, sans qu’aucun sabot ne touche le
sol ? Cette affirmation était due à un physiologiste français,
Étienne-Jules Marey. Muybridge accepta le défi — et une
bourse de 40.000 dollars. Il eut l’idée de disposer 12 appareils photo côte à
côte, dont le déclenchement serait commandé par les pattes du cheval coupant
des fils tendus en travers de sa route. L’expérience mit du temps à être
réalisée. Car la vitesse de la prise de vue était difficile à contrôler.
Muybridge dut même interrompre son travail pendant 2 ans à cause d’ennuis
conjugaux et judiciaires — une broutille : il tua en 1874 l’amant de sa femme !
Le résultat des courses — c’est le cas de le
dire — après ceci!
_______________
« Donc
Muybridge et son cheval au galop : eh bien oui, pari
gagné, sur un des photogrammes on constate en effet qu’aucun membre de l’animal
ne touche le sol. La controverse était réglée. Muybridge devint célèbre
aussitôt. Il fit une tournée en Europe puis développa son travail à Philadelphie où il accumula près de
20.000 négatifs en décomposant les mouvements d’autres animaux, mais aussi en
photographiant des humains sautant à la perche, jetant une pierre, marchant
d’un pas rapide, etc. De nombreuses personnalités achetèrent ses planches, dont
Edison, Puvis de Chavanne
et Rodin. Certains peintres
retouchèrent même leurs tableaux au vu des prises de vues
« instantanées » de Muybridge.
Étienne-Jules
Marey, le physiologiste à l’origine
des travaux sur la course du cheval, devint l’ami de Muybridge et décida lui
aussi d’utiliser cette technique, mais en superposant les différentes phases
d’un mouvement sur une même image. Ce fut la chronophotographie.
Tout cela annonçait le cinéma, bien sûr...
donc... ceci !
_______________
« Le
photo-journalisme
est né officiellement en 1880 à New York, dans le Daily Graphic :
c’était la première fois qu’un quotidien reproduisait une photographie. Il
s’agissait d’un terrain vague bordé de maisons décrépies. Jusque là régnaient
en maître la gravure et le dessin, lesquels furent définitivement
évincés au tournant du siècle. Cette date de 1880 est importante aussi pour une
autre raison : c’est la date de parution du premier livre sur la... télévision, prophétiquement intitulé
« Le télescope électrique ».
Cependant,
on n’avait pas attendu 1880 pour couvrir l’actualité ou les guerres. Le premier
conflit photographié fut celui de Crimée,
en 1855, mais ce sont les images de la Guerre
de Sécession qui marquèrent véritablement les esprits, et plus
particulièrement celles de Mathew Brody, premier correspondant de guerre authentique, qui
se déplaçait en voiture d’un camp à l’autre – voiture équipée comme un
laboratoire de campagne et que l’on prenait souvent pour une
automitrailleuse... Il mit en scène quelques photos aussi, mais c’est une autre
histoire...
_______________
« La
photographie fut très vite employée à ficher les personnes. En 1878 s’ouvrit à
l’hôpital de la Salpetrière à Paris
un service destiné à photographier les malades et l’évolution de leurs
maladies. On se constitua ainsi des collections de « cas pathologiques »
qui tenaient plus du voyeurisme et des cabinets de curiosités que de la
science.
Mais
ce furent les services de police qui se ruèrent les premiers sur cette
invention : dès 1854 un certain Lacan
en avait exprimé le désir et les événements de la Commune de Paris, en 1871, marquèrent les vrais débuts du
fichage : on photographia les Communards un à un dans les prisons de Versailles, pour éviter la récidive, disait-on...
La fiche signalétique, avec prise
d’empreintes digitales, portrait de face et de profil, notations de signes
particuliers — cicatrices, tatouages, etc. —, fut mise en œuvre par le célèbre
Alphonse Bertillon à la préfecture
de police de Paris en 1882. Huit ans plus tard le bonhomme se vanta de posséder
une base de 90.000 photographies !
Les
ethnologues aussi se mirent à quadriller la planète, ouvrant la porte à une
classification des types raciaux...
Brrr ! Bonjour les dégâts ! On souffle avec ça !
_______________
« Voilà,
c’est avec cette dernière série de vidéos que nous terminerons l’émission.
J’aurais aimé vous parler encore de la photographie
de mode, de la publicité, de l’invention
des rayons X et des premières radiographies, de la photographie amateur, de la naissance du film 35 mm et du progrès des optiques, de la
propagande, des revues pionnières qui
se consacrèrent à la photo — que ce soit l’Illustration,
en France, ou Look aux États-Unis,
en passant par cet hebdo qui exalte « le poids des mots et le choc des
photos » —, mais nous n’avons plus le temps...
Pendant
que notre réalisateur chéri nous imprime l’adresse à laquelle envoyer vos
cassettes, risquons-nous à ce pronostic : la photographie, telle que nous
la connaissons depuis 160 ans, semble avoir vécu : tout sera virtuel
désormais, longue succession de 1 et de 0 dans des mémoires informatiques,
transportables et manipulables à volonté. Adieu gélatine, vive les bits !
Mais
des images fixes, il y en aura toujours, regardez : à la fois proch... !
Ça y est, moi je suis prêt, on y
va ?! »