Les muscles

 

 

    « Bonjour à tous et bienvenue sur le plateau de « Souriez, vous êtes filmés ! » Nous sommes heureux de vous retrouver en ce début d’année pour une nouvelle série de films amateurs qui vous mettront en joie, nous en sommes certains ! Quoique...

    Sommes-nous sûrs que le rire soit bon pour la santé ? J’ai une collègue qui a cette célèbre affiche sur la porte de son bureau : « Quand vous faites la gueule vous utilisez plus de 20 muscles ; quand vous souriez vous n’en utilisez que 8. Alors souriez, c’est moins fatigant ! »

    Vous avez sûrement déjà vu ce texte, il est illustré de 2 portraits-robots qui font aussi peur l’un que l’autre. Cette affiche est placardée dans beaucoup d’administrations. À l’endroit où il y a un seul guichet d’ouvert, par exemple, sur les 6 prévus. Pourtant, il y a du monde, derrière les guichets fermés... mais voilà... ils ont d’autres choses à faire, manifestement !

    Allez, tout ça c’était au siècle passé, c’est sûrement fini maintenant !

« On commence l’année avec ça, souriez ! — 8 muscles seulement ! » ...

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    « Donc les muscles seront le thème de notre première émission de l’année. Pourquoi ? Parce que les fêtes les ont un peu oubliés, tiens ! C’est le foie qui a plutôt travaillé cette semaine non ? Et le coude peut-être un peu... et les doigts aussi, qui ont tourné des cachets d’aspirine dans les verres d’eau...

    Vous savez qu’on classe les muscles en 3 catégories chez l’homme ?

 — [1] Les muscles squelettiques, ou volontaires, car ils se contractent quand on leur demande : hop ! hop ! hop ! hop !

 — [2] Les muscles lisses, ou involontaires — ce sont ceux qui travaillent à notre insu, en silence ; autour de l’intestin par exemple, ou de l’estomac ;

 — [3] le cœur, enfin, qui est une catégorie à lui seul...

    La poésie n’est jamais loin dans cette émission, vous le savez : écoutez plutôt le cri du « psoas-iliaque », ici, ou celui du « grand dentelé », là, aïe ! — celui du « vaste interne », ici, et le resplendissant « soléaire » qui vous caresse les chevilles ! Ouch !

    On se repose avec ceci ! ...

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    « Toujours mignons, les enfants. Fragiles, mais mignons ! Ils tombent, se relèvent et repartent à la conquête du monde ! Bravo les petits !

    Un conseil à vous, d’ailleurs, les enfants, si vous nous regardez : essayez de passer le plus vite possible de l’autre côté de la caméra ! À votre tour d’embêter les adultes ! Faites-les bouger un peu, ce sera bon pour leur ligne et pour vos images, surtout si vous les poussez un peu — non, je rigole !

    À part ça, qu’est-ce que je lis dans ma petite encyclopédie sur le corps humain, voyons :

    « Le muscle le plus long est le grand fessier » — c’est celui qui permet l’extension de la cuisse, il va de là jusque là. En revanche — je cite toujours — « le muscle le plus petit est le stapedius ». C’est vrai, il mesure à peine plus de 1 millimètre et actionne l’étrier, qui est lui-même le plus petit os du corps humain, 3 à 4 milligrammes à peine.

    Vous savez où ils sont ? Là, dans l’oreille interne ! ils vous permettent d’entendre tout ce qui se dit ici... Je ne sais pas si c’est un cadeau d’ailleurs ! ...

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    « Eh oui, voir quelqu’un tomber nous fait toujours rire ! C’est comme ça, ça ne part pas d’un mauvais sentiment, c’est spontané — et les rieurs, eux-mêmes, tomberont un jour, c’est comme ça, c’est la vie — eh ! pas besoin de pousser là ?!, vous n’êtes pas drôle mon vieux !

    Enchaînons sur le visage, un gros plan s’il te plaît Fred, doucement... pas trop gros quand même, sinon la maquilleuse va nous faire une scène... Voilà !

    Car nous communiquons beaucoup, par le visage, donc — et sans tout bien contrôler parfois : regardez cette expression [... ], là, je suis fâché... c’est surtout le « sourcilier » qui travaille, là, vous voyez ? Le « sourcilier » c’est ce muscle là.

    Et quand je fais ça [...], c’est l’« orbiculaire des lèvres » qui travaille, comme pour envoyer des bisous... Mmmh !...

    Ici [...], c’est le « grand zygomatique », et là [...], c’est le « triangulaire des lèvres »... Là-haut, c’est le « frontal » qui fait bouger les perruques des vieux animateurs... et ici... c’est mon index qui lance la suite : moteur ! »

 

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    « Faut-il du muscle pour rapporter des images comme celles que nous venons de voir ? Non. Il faut juste un peu d’expérience de la caméra, un bon « timing » comme on dit, et de la chance.

    Les muscles n’ont rien à voir là-dedans. Du moment que vous avez la force d’appuyer sur le petit bouton « marche/arrêt », vous êtes parés. Et puis les nouvelles caméras sont de plus en plus légères et discrètes. Fini les « arbres de Noël » avec tout qui dépasse, l’éclairage, le micro, les câbles. Tout est concentré aujourd’hui dans une petite chose à peine plus grosse qu’un paquet de cigarette — et qu’il ne faut même plus porter à l’œil dans la plupart des cas : on ouvre un petit écran sur le côté, comme ça, et on cadre la scène. Question discrétion, il y a même des caméras qui se placent dans des branches de lunettes... ou à la boutonnière...

    Non, le seul muscle utile pour bien filmer, c’est le cerveau : il ne consomme pas trop d’électricité, il faut juste qu’il ne soit pas flou et qu’une quantité raisonnable de lumière y entre. Le reste est dans les mains de vos acteurs... et du hasard... La preuve ? — Regardez !

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    « Pendant que toutes les vidéos passaient à l’antenne, Fred, notre réalisateur chéri, me signalait qu’il faisait du « body-building » deux fois par semaine... Vous vous rendez compte ? De la gonflette, à son âge... Combien ? ... 62... 63 ans, Fred ?!

    En fait, je crois que ceux qui développent leurs biceps et leurs pectoraux comme des bêtes ont un problème de confiance en eux... Du calme, les culturistes, on vous aime ! Pas besoin de soulever des tonnes de fonte, comme vous faites !La gym c’est bien, mais la « sur-gym » c’est pathétique ! Et puis tous les produits que vous prenez, en plus, ça vous donne des boutons ! une haleine de cheval — pouah ! — et une toute petite, euh... sexualité — vous voyez ce que j’veux dire !

    Il y a ces nouvelles revues pour hommes dans les kiosques, d’accord, avec tous ces éphèbes en couverture — les abdos comme des tablettes de chocolat — Et ces bellâtres latinos qui enlèvent leur T-shirt, comme ça, pour rien, même en plein hiver ! Ridicule ! De là à ne rien faire comme exercice, faut pas exagérer ! Non — le juste milieu, comme ça : la classe, non ?!

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    « Il y a des muscles plus connus que d’autres, c’est comme ça. Ceux-là passent à la télé dans le journal — et pas les autres. Ainsi en est-t-il des muscles et tendons de nos sportifs préférés, dont le transfert a coûté des milliards de francs, et qui n’ont pu jouer que 2 matchs 1/2 ! Nous sommes donc devenus spécialistes en adducteurs, en ligaments croisés du genou, en pubalgies, tendinites et autres claquages de biceps. Mais le bout de muscle le plus célèbre est le tendon d’Achille, non ?!

    Je rappelle l’histoire de ce vaillant jeune homme pour ceux qui ont raté le début.

    Achille est le plus « top » des héros grecs ! Fils de la nymphe Thétis, Achille a toujours affirmé préférer une vie courte, mais glorieuse, à une existence longue, mais obscure. Sa mère, à sa naissance, décide de le rendre invulnérable et le trempe dans les eaux du Styx, le fleuve des Enfers. Elle le tient par le talon, pour qu’il ne se noie pas, et l’immerge totalement dans l’eau avant de l’en ressortir.

    Achille... La suite après ceci !

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    « Histoire d’Achille, deuxième partie : Achille, donc, grandit en âge et en sagesse. Il passe son enfance au côté de Patrocle, son cousin et meilleur ami. Mais c’est devant Troie qu’il connaîtra la célébrité. Les oracles, en effet, ont prédit que la ville ne tomberait que grâce aux actions d’Achille et Agamemnon l’a engagé. C’est à la mort de Patrocle, tué par Hector, le fils aîné du roi des Troyens, qu’Achille rencontrera son destin — comme le raconte l’Illiade, cette épopée vieille de 3000 ans, et pourtant si moderne. Car Achille a décidé de venger son ami : il tue donc Hector en duel, donnant ainsi un gros avantage aux Grecs, ennemis de Troie. Pourtant Achille, l’invincible Achille, protégé par les eaux magiques du Styx, mourra aussi, frappé au talon — le fameux talon d’Achille —, par une flèche empoisonnée que lui décoche Pâris, l’un des frères d’HectorPâris avec un chapeau sur le « a »...

    Les Grecs gagneront la guerre contre Troie un peu plus tard, à l’aide d’un cheval de bois, mais c’est une autre histoire...

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    « Tiens, vous savez que les muscles représentent 50% du corps ? Et qu’ils sont eux-mêmes composés au 3/4 d’eau ? Le reste est un savant cocktail de myosine, de glycogène, de sels minéraux, de calcium, de composés azotés et de machins phosphorés très subtils qui permettent aux fibres de se contracter —j’entends parler de ce cocktail pour la première fois ici, sur ce plateau... merci Fred !

    Quand cette belle mécanique musculaire commence à dérailler, on a des soucis. Nous ne dirons donc rien des Dupuytren — c’est une rétraction du muscle de la paume qui vous transforme les doigts en crochets, comme ça [...] ; rien sur le Ledderhose — c’est la même chose, mais à la plante des pieds ; rien non plus sur les périarthrites qui affectent les tendons ; à peine plus sur les myasthénies — c’est quand la jonction nerf/muscle ne se fait plus bien ; ni sur les myopathies où les muscles s’atrophient lentement. Quant aux dystonies — qui ne sont parfois que de simples crampes —, et aux myosites — des inflammations dues à des microbes —, elles finiront par m’achever complètement...

On se requinque avec ça...

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    « Pensez-vous que les personnages des vidéos que nous venons de voir aient du cœur ? Oui, bien sûr, même si certains films sont à la limite du sadisme parfois... Donc du cœur, oui, et un cœur aussi, bien sûr — ce qui nous permet d’évoquer le muscle le plus important de tous, celui qui bat la chamade dans notre poitrine quand nous sommes amoureux, celui qui est une catégorie à lui tout seul !

     Si le cœur devait se mettre en grève comme les TEC wallons, bonjour ! Quel artiste secret, quel organe ! Il travaillait déjà que nous n’étions pas né ! Et tout ça en silence, humblement, faisant tourner la boutique avec 3 fois rien : un peu d’oxygène, deux doigts de sang frais et un coup de torchon sur le pare-brise tous les 10.000 km !

    Le cœur, imperturbable, ne dort jamais et pompe ses 5 litres à la minute sans exiger heureusement les 35 heures : bravo !

    Du coup c’est le seul muscle, probablement, qu’on embaume, conserve, admire et vénère dans les endroits les plus étranges. Je vous raconte l’histoire de Louis 17, dont les parents furent guillotinés à la Révolution française, après ceci !

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    « Louis 17, donc, est le fils de Marie-Antoinette. Il est mis en prison avec sa famille à Paris, à l’âge de 7 ans, lors des journées révolutionnaires d’août 1792. On raccourcit le père, on raccourcit la mère et le fils, lui, meurt de tuberculose 3 ans plus tard.

    Le médecin qui pratique l’autopsie est un royaliste : il réussit à prélever le cœur de l’enfant et à le dissimuler dans un vase rempli d’alcool. Les rumeurs les plus folles courent cependant dans le pays : le corps qu’on enterre ne serait pas celui du jeune Roi, mais celui d’un autre enfant. Le vrai Roi se serait évadé !

    Le vase, quand à lui disparaît, réapparaît, et finit par aboutir, après bien des tribulations, dans la branche espagnole des Bourbons, où il reste jusqu’en... 1975 ! L’Espagne décide alors de restituer cette relique, plus ou moins douteuse, à la France. Laquelle la fait déposer dans la crypte de la Chapelle des Princes à Saint-Denis, où est enterrée la famille royale. De nombreuses personnes se rendent en pèlerinage dans la crypte. Mais admirent-elles le muscle royal ou celui d’un imposteur ? La fin de cet insoutenable suspens après ceci !

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    « Il faut dire que de nombreuses personnes se sont fait passer pour le vrai Louis 17, lequel, selon la rumeur, aurait été discrètement enlevé de la prison du Temple à Paris en 1795, à l’âge de 10 ans. Ainsi d’un aventurier prussien nommé Karf-Wilhelm Naundorff, qui prétendit toute sa vie être l’héritier de la couronne des rois de France...

    Voilà pourquoi les tests d’ADN, pratiqués en avril 2000 par un laboratoire belge — extérieur à toutes querelles franco-françaises —, étaient attendus avec impatience. On préleva donc un morceau du cœur de l’enfant, cœur désormais dur comme de la pierre, et on compara son ADN à celui d’une mèche de cheveux de sa mère, Marie-Antoinette, mèche arrivée jusqu’à nous et authentifiée. Pour plus de sécurité on compara aussi cet ADN à deux membres actuels de la famille de la reine, toujours vivants.

     Résultat des courses : oui, Louis-Charles de Bourbon, duc de Normandie et Roi de France est bien mort de tuberculose le 8 juin 1795 et, oui, c’est son muscle cardiaque, désormais pétrifié, que peuvent vénérer ceux qui aiment ça, en la basilique Saint-Denis, à Paris...

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    « Quel est le seul muscle visible du corps humain ? — Mais non, pas celui-là ! Ce n’est pas un muscle d’ailleurs, et celui auquel je pense est commun aux filles et aux garçons !

    C’est la langue, bien sûr, qui fait 4 kg chez le bœuf normalement constitué, et 1m20 de long chez le tamanoir de base ! Le tamanoir ? — mais c’est le fourmilier, l’édenté, là, qui glisse son engin gluant dans les termitières, on dirait un spaghetti géant !

    La langue est donc un muscle composé d’autres muscles et tapissé d’une muqueuse. Le « sucré » s’apprécie avec la pointe ; le « salé » sur les cotés, devant ; l’« acide » sur les côtés, en arrière et l’« amer » sur le dessus, au fond. À chaque type de sensation correspond une papille, et les papilles font de la résistance, par les temps qui courent !

    Mais la langue, « support du goût », « organe de la mastication » et « outil de la phonation » comme disent les savants, ne sert pas qu’à ça, non ? C’est aussi un muscle abondamment travaillé par les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics...

« Et par Einstein... Zweistein... Dreistein...! — qui la tirait comme ça ! »

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    « Un autre muscle qui me plaît bien et que connaissent par cœur les amoureux, c’est celui de l’iris. Pas l’iris de l’émission précédente qui s’imprimait en plusieurs couleurs comme une série de Warhol, non, l’iris ici — encore un petit coup de zoom, Fred, voilà !

    Oui, l’iris est un muscle, ou plutôt deux — car vous le savez, les muscles vont toujours par deux : pendant que l’un se contracte, l’autre se relâche — regardez mon bras : là, biceps contracté, triceps relâché ; et là, c’est le contraire, triceps relâché, biceps concentré ... Ça permet de faire des gestes vulgaires, mais pas sur ce plateau, jamais !

    L’iris, donc, est composé de deux muscles lisses involontaires : le sphinctérien circulaire et le dilatateur radiaire — on baigne toujours en pleine poésie ! Ils règlent la quantité de lumière pénétrant dans l’œil. Sa couleur varie — du brun foncé au bleu clair en passant par le vert ou même le rouge chez Dracula et certains lapins en bout de course...

    Un iris grand ouvert par le dilatateur vous fera la pupille large et le regard profond, comme on pouvait le voir en cinémascope dans « 2001 Odyssée de l’espace » — tiens, c’est d’actualité, ça !

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    « Nous possédons plus de 600 muscles qui constituent ce qu’on appelle en langage cannibale, la « viande ».

    Pour augmenter cette masse de viande, que ce soit sur les animaux d’élevage ou sur les sportifs, les humains ont inventé — j’espère que vous n’êtes plus à table... — toute sortes d’artifices.

    Les antibiotiques, par exemple, qui permettent aux animaux d’élevage de prendre 3 à 5% de poids supplémentaire . C’est ainsi que les poulets sont abattus à 42 jours à notre époque — 1 mois et 12 jours après leur naissance, couic ! pour 2 kilos de muscle totalement insipide, pouah !

    Pour les humains les accroissement possibles sont énormes : en 3 mois on peut gagner facilement 15 kilos de muscle grâce à l’EPO, aux stéroïdes anabolisants, à la somatrophine — c’est l’hormone de croissance, pratiquement indécelable —, aux hormones peptidiques, glycoprotéines et autres Bêta-2 agonistes...

    Heureusement qu’on ne mange pas encore de viande de cycliste ou de muscle d’avant-centre, ça pourrait produire d’étranges effets...

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    « Voilà c’est avec cette dernière série de films que nous terminons ce programme. Nous n’avons pas eu l’occasion encore de montrer vos réalisations, patientez, ce sera pour bientôt, promis !

    L’adresse à laquelle envoyer vos chefs-d’œuvre n’a toujours pas changé, la voici « Souriez vous êtes musclés ! — Mais non, c’est quoi ça ?! — Souriez, vous êtes filmés, Boîte postale 6, Schaerbeek 6 ».

    J’aurais aimé vous parler encore de quelques superstitions qui concernent les muscles, comme celle qui affirme que les natifs de la Vierge sont les plus fragiles de ce côté-là — ou alors évoquer Luigi Galvani, l’homme qui brancha les grenouilles sur secteur au 18e siècle, mais voilà, il paraît que mon cours d’aérobic m’attend ! Hop, hop, hop...

 

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