Monochromies
« Bonsoir
à tous et bienvenue sur le plateau de ‘Souriez, vous êtes filmés !’, un
plateau toujours aussi pimpant et coloré qu’une chambre d’hôpital - je trouve d’ailleurs que ça commence à bien
faire...
- « Euh, Fred, tu pourrais nous ajouter quelques taches de couleur, quelques
coups de pinceau à gauche ou à droite ?! - Tu vas voir ça ? - Bon... ».
À
propos de peinture, vous connaissez tous, je suis sûr, l’« Album primo-avrilesque » d’Alphonse
Allais ? Alphonse Allais est cet humoriste qui proposait de construire les
villes à la campagne, car, disait-il, l’air
y est plus pur ! Il publia, il y a plus d’un siècle, un album de
reproductions monochromes - une seule couleur -, affublées de légendes pleines
d’humour. Ainsi pouvait-on lire, sous une œuvre entièrement noire [geste vers
rectangle noir], le célèbre : « Combat de nègres dans une cave,
pendant la nuit ». Il s’était inspiré d’un tableau bien réel celui-là :
« Combat de nègres dans un tunnel », vu lors d’une exposition en
1882.
Bien,
je vous laisse deviner, pendant la séquence « ski », le titre qu’Alphonse Allais avait donné à son
tableau entièrement blanc... »
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« Brrr
! Ça me fait toujours aussi froid dans le dos, ces plongeons dans l’eau glacée
! Il faut vraiment avoir une case en moins pour s’amuser à ça, attention aux
chutes de bronchites les gars !
Donc,
Alphonse Allais.
Sous
ce tableau-ci [geste vers rectangle blanc], immaculé, il avait écrit :
« Première communion de jeunes
filles chlorotiques, par un temps de neige ». Magnifique, non ! La
première communion, c’est en blanc, les jeunes filles chlorotiques ont le teint
pâle, et le temps de neige s’impose, surtout en cette saison !
Ça
ne met toujours pas de couleur dans le studio, ça : regardez plutôt le tableau
suivant [geste vers rectangle bleu]
:
« Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la
première fois ton azur, ô Méditerranée ! »
Les
jeunes recrues sont des bleus, évidemment !
Et à
propos de bleus, en voici
quelques-uns qui s’étalent dans notre rubrique suivante, consacrée à nos chers
et fragiles chérubins ! Action ! »
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« Pauvres
petits... allez, un bisou et il n’y paraîtra plus j’espère !
Les
cours de peinture, c’est bien, mais n’oubliez pas le cinéma ! C’est d’ailleurs
son ancêtre, la photographie, qui a bouleversé la peinture et la manière de
voir des artistes. ..
Revoici
l’objet que nous vous recommandons pour passer dans l’émission. Vous avez
sûrement craqué pour lui lors des fêtes de fin d’année, vous devez avoir
compris le mode d’emploi maintenant ! Vous aurez droit plus tard au film de
Madame C..., de Flémalle, laquelle emporte notre traditionnel coffret de deux
longs-métrages français comiques. Faites comme elle, envoyez vos images à :
« Souriez, vous êtes filmés
! », BP 6, Schaerbeek 6, nous nous occupons des copies et vous restituons
vos originaux.
Allez,
pas le temps de causer couleur, ce sera pour après la séquence bestioles qui
piaffe dans le magnéto. On se dépêche les toutous!
- « Wouf wouf, chienne de vie ! »
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« Ah
comme c’est joli les perruches, les pingouins ou les perroquets. Et ce
perroquet, justement, va nous conduire tout droit au pavé de couleur suivant,
regardez [geste vers rectangle vert] :
« Des
souteneurs encore dans la force de l’âge et le ventre dans l’herbe boivent de
l’absinthe ».
Explication
: « les souteneurs », au 19ème, étaient appelés « dos
verts », par allusion à la couleur des maquereaux
; ils sont « dans la force de l’âge », donc encore verts ; ils ont
« le ventre dans l’herbe » - ça se passe de commentaire - et ils
boivent de « l’absinthe », qui était une liqueur de couleur verte
très en vogue au début du siècle, mais aujourd’hui interdite. On l’appelait
aussi « perroquet », rapport au plumage de ce dernier et
« étrangler un perroquet » c’était serrer la main autour d’un verre
d’absinthe, comme ça, avant de le boire...
Que
tout ceci ne vous donne pas de mauvaises idées, allez !
Voici une séquence pleine de courants d’air
et de ventilateurs, avec quelques rediffusions toujours... décoiffantes !
Moteur ! »
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« Aïe,
j’ai mal au scalp chaque fois que je revois cette image ! Ça me rappelle
l’histoire longue et difficile de la mise au point du siège éjectable pour
hélicoptère ! Hum !
Bien,
revenons à nos flaques de couleur, que pensez-vous de ce monochrome-ci [geste vers rectangle rouge] :
« Récolte
de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer Rouge - effet d’aurore boréale ».
Les
cardinaux sont habillés de rouge, l’apoplexie fait monter le sang au visage,
et tout corps plongé dans la mer Rouge en ressort... mouillé ! - bravo, il y a une seule personne qui suit
sur le plateau, continuez, j’ai les noms !
Notre
séquence suivante est dansante paraît-il ! Fred
nous a concocté une petite compil’ à base de chansons, danses et chutes en tous
genres.
-
« ...Ola, mujeres! Quando se come aquiqui ?! ... »
______________
« Ah,
la danse, ça m’a toujours plu, vous savez ! Rien de tel pour lier connaissance
et plus si affinités ! Ce qui nous conduit tout naturellement au tableau
suivant d’Alphonse Allais, vous
allez comprendre [geste vers rectangle jaune]
:
« Manipulation
de l’ocre par des cocus ictériques ». Précisons, pour ceux qui
l’ignoreraient encore, que l’ocre est une argile naturelle souvent jaune, que
l’ictère est l’autre nom de la
jaunisse et que le jaune est la couleur des maris trompés !
Pourquoi,
me direz-vous ? Parce que le mot cocu
vient de coucou, oiseau dont la
femelle volette de nid en nid, comme tout le monde sait ! Or le coucou est aussi le nom que l’on donne à
deux plantes sauvages à fleurs jaune, la primevère
officinale et le narcisse des
bois...
Bref,
les maris trompés, qu’ils soient blonds ou non, doivent avoir envie de mordre. Et
c’est justement le sujet de notre prochaine séquence : les dentiers qui
s’égarent, les animaux qui gnak ! et
les oiseaux qui jouent aux dentistes. Il y a même un raton-laveur !
Gare
à vos doigts, séquence un rien pincée !
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« Le
dernier film que vous venez de voir était l’œuvre de Laurianne - joli prénom -,
Laurianne C... À propos, vous connaissez la différence entre un milliardaire
italien et un SDF ? Le milliardaire va de Ferrari en Ferrari et le SDF de
porche en porche ! Hem... Mme C...,
donc, de Flémalle, pourra coucher
bientôt Louis de Funès dans sa
vidéothèque, et plutôt deux fois qu’une car elle va recevoir deux
longs-métrages sous peu, ils sont là, à côté de moi !
Passons
au monochrome suivant, regardez [geste vers rectangle gris], c’est le
dernier du père Alphonse, une seule
couleur, si l’on peut dire, et le titre, toujours limpide :
« Ronde
de pochards dans le brouillard »... car le brouillard, c’est souvent gris,
on s’y perd, on tourne en rond, et de quelqu’un qui a bu on dit qu’il est gris
- logique !
Voici
quelques images d’été, un peu plus colorées, et parfois même salissantes car il
y est question de moteurs... Le premier d’entre eux joue les filles de l’air !
... De l’eau plutôt, regardez !
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« Re-bonsoir
à tous. La première partie de l’émission se terminait avec le dernier tableau
unicolore d’Alphonse Allais, tiré de
son célèbre album « primo-avrilesque ».
Ce brave homme s’est arrêté aux 7 couleurs que nous avons vues, dont le blanc,
le gris et le noir. Il aurait pu continuer l’exercice pourtant.
Comment
aurait-il baptisé ceci [geste vers rectangle orange] ?
Que
pensez-vous d’un titre du genre : « Supporters hollandais cramoisis,
déversant des mandarines non loin d’Avignon »... car non loin d’Avignon se
trouve Orange, bien sûr ! Mais
vous pouvez faire mieux, j’en suis sûr, et ça me donne une idée !
Comment
qualifier un monochrome violet ou beige
? Ou une surface uniformément argentée ? Allez sur notre site Internet, www.rtl.be, faites défiler la page d’accueil
et cliquez sur « Écrivez-nous ». Nous attendons vos
propositions de couleur - il y en a plein encore, comme le brun, le pourpre,
l’or etc.- mais surtout envoyez-nous des titres et des légendes drôles !
Un
conseil à présent : remontez votre col soufflez dans vos mains, nous sortons du
studio pour faire un tour en scoubidou... pardon, en skidoo
! »
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« ...
et boum, parfois le skidoo, c’est pas doux du tout ! On va arrêter d’ailleurs, avec la
neige et l’eau glacée : il fait assez froid comme ça dehors pour ne pas en
ajouter dans le salon, en plus !
Nous
allons poursuivre avec le thème des miroirs, des jumeaux, des doubles, etc. Je
sais que c’est un sujet qu’affectionne particulièrement Fred, le réalisateur de l’émission : ça lui permet de multiplier
les images, de placer quelques effets dont il est très fier et que je découvre
après à l’antenne, où je suis souvent ridicule, merci !
- Tu
veux quelques idées en vrac, Fred,
sur le thème des jumeaux ? Euh... Castor
et Pollux, qui n’étaient d’ailleurs
pas jumeaux, Romulus et Remus ou... Alice de l’autre côté du miroir, le clonage, les lits jumeaux, Luc Besson... Oui, « besson » veut dire jumeau pour les
agneaux...
Quoi
d’autre ? Monozygote, univitellin, jumelage...
Bon, excusez-moi, je vais me changer, toutes
ces doublures me feraient presque rater mon rendez-vous !
- « La Belle de Cadix a des
yeux de velours ! »
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« Pendant
que passaient les films sur les miroirs et les personnages en couple, la régie
m’a signalé que plusieurs artistes s’étaient rués dans la brèche ouverte par
Alphonse Allais.
En
1919, notamment, un certain Casimir Malévitch
exposa une toile à Moscou baptisée
« Carré blanc sur fond blanc ».
Vue de loin elle était... je vous laisse deviner... blanche ! Mais de plus près
- on peut la voir aujourd’hui à New York,
au Musée d’Art Moderne, 1er étage, prendre à gauche en sortant de l’escalator,
puis 2e salle à droite, c’est sur le mur en face, un carré de 80 cm sur 80,
fermons la parenthèse - mais de plus près donc, le « blanc sur
blanc » est plutôt du « coquille d’œuf sur crème », ou de
l’« ivoire sur Pierre de France », voire du « beige délavé sur
blanc cassé », bref quand on a le nez dessus c’est subtil, abstrait et
géométrique - certains disent que c’est limite escroquerie, mais nous les
laisserons causer, la bave du crapaud n’atteindra jamais, c’est le cas de le
dire, la blancheur de la colombe...
Et
cette métaphore animale nous permet de lancer la séquence suivante, consacrée à
toutes les bébêtes qui nous imitent, peintres ou musiciens, regardez !
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« C’est
très bien tout ça, mais Yves Klein
?! Yves Klein , né à Nice en ’28 et mort à 34 ans ?
Adolescent cet artiste était déjà obsédé par les surfaces monochromes, mais
c’est le bleu outremer qui l’a rendu mondialement célèbre, bleu dont il
recouvrait uniformément d’immenses toiles. Il a d’ailleurs laissé son nom à une
teinte bien précise, le IKB - qui signifie « International Klein
Blue » -, et qui ressemble un peu au bleu profond des deux bandeaux
qui m’entourent, là...
Ah,
les artistes... ils sont un peu notre oxygène, non, quand les choses se mettent
à dérailler... Et ça déraille justement beaucoup dans notre séquence suivante,
consacrée à ces autres artistes que sont les sportifs du dimanche. Il y du
skate-board, bien sûr, du base-ball amateur, du vélo, mais aussi vers la fin,
un sympathique petit virage en canoë tel qu’on en voit souvent sur la Lesse ou sur l’Ourthe quand il a plu et que le courant est fort !
- « Allez Momo, bouge de là,
laisse jumper l’artiss’ ! »
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« Ah
j’aimais beaucoup le petit kayak sous-marin juste avant la pub ! Bloub, bloub,
ton azur, ô Méditerranée ! Tes flots bleus IKB !
Ces histoires
de peinture me rappellent une célèbre mystification. Ça se passe à Paris en 1910, au vernissage du Salon des indépendants, rendez-vous
mondain toujours très couru par la haute société. Une toile y est exposée :
« Coucher de Soleil sur l’Adriatique ».
Signée
J.R. Boronali, elle ne présente
aucun coucher de soleil sur aucun Adriatique,
mais de larges traces de couleur dans le désordre. De doctes critiques se
penchent sur l’œuvre et s’extasient. On ne parle plus que de ce Boronali, absent du vernissage mais
tellement moderne ! La supercherie sera révélée plus tard : des étudiants et
des humoristes avaient attaché un pinceau au bout de la queue d’un âne. On
trempe le pinceau dans divers pots de couleur, l’âne remue la queue et
emballez, c’est pesé ! Boronali
était le nom inversé de l’âne Aliboron,
héros d’une fable de la Fontaine...
Allez,
voici d’autres gags et blagues de potaches à peine plus subtils!
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« Ah
c’est toujours agréable de se faire réveiller comme ça ! Je me demande
s’il ne faudrait pas faire la même chose sur le plateau, ici, eh, oh, debout
tout le monde, on est sur antenne ! En réalité je suis tout seul vous
savez, entouré de robots commandés depuis la régie : dur dur d’avoir pour tout
public un tas de ferraille aussi sexy qu’une caméra de surveillance dans le
métro...
Les
robots sont bien pratiques pour peindre, ceci dit. Vous avez déjà visité une
usine d’assemblage de voitures ? Chapeau les artistes ! Il y avait même une
pub, pendant le Salon de l’auto... pssschitt, pssschitt... très sympa !
La
peinture automatique sur toile, en revanche, semble rencontrer nettement moins
de succès... Quoique ! Les sérigraphies d’Andy
Warhol étaient presque industrielles et son atelier s’appelait la
« Factory », c’est-à-dire l’« Usine » ! Il a même
représenté notre Hergé
national ! Ah, s’il m’avait connu !
Je
plaisante, retournons à nos chérubins, artistes également, mais à leur manière
!
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« Sympas
les mômes, toujours étonnants ! Ça me rappelle un portrait que j’ai lu
récemment, consacré au réalisateur Jean-Pierre Mocky qui sort un film ces jours-ci. Il paraît qu’il a 17 enfants
déclarés, dont, je cite : « un directeur de théâtre et deux mafiosis ».
Quand il est devenu père pour la première fois, il avait 14 ans et demi ! Ça se
passe à la fin de la 2e guerre, d’accord, mais ce n’est pas banal ! 17
enfants... je parie qu’il ne connaît même pas tous les anniversaires ! Lui, il
a 70 ans.
La
séquence suivante est consacrée à ces petits accidents et maladresses
domestiques qui nous gâchent la vie. Je suis toujours étonné par la présence de
la caméra : moi je filme en catimini tous les petits travaux de mon voisin et
je n’ai jamais réussi une seule image intéressante. En revanche je suis tombé
de mon escabeau le week-end dernier, avec la caméra : c’est malin !
On
enchaîne avec une autre histoire d’escabeau et de peinture. Le film commence
sur des dessins et des plans genre Titanic,
puis coule comme lui. Ce n’est plus du monochrome mais du mercurochrome qu’il
faut au jeune homme !
______________
« Ah
j’aime beaucoup ces histoires de cloches, je ne suis pas dépaysé au moins, avec
tous ceux qui... ici... hein les gars !
Oh,
on m’entend là-haut ?! Qu’est-ce que nous avons encore en magasin, Fred ? ... De l’amour ? Mais c’est fini,
ça, l’amour, ça ne marche plus ce truc, c’est vieux, out, terminé... Tu n’aurais pas quelque chose de plus contemporain,
quelques batailles rangées, quelques pillages, meurtres, coups de
tronçonneuses, décollages d’avion cargo entre 1 et 5 heures du matin ?
Bon,
allez, notre séquence « embrassades » est prête. Elle n’arrive pas à
la cheville d’un célèbre balcon de la Grand-Place
à Bruxelles, début décembre dernier.
Souvenez-vous, un couple de tourtereaux se mariait en deux langues sur toutes
les chaînes du pays ! Et ça me rappelle d’ailleurs un détail charmant, classe,
très chic et très frais : ces gens dans la foule qui exigeaient que Philippe embrasse Madame, tenez-vous
bien, « avec la langue ! » Ils criaient : « La langue, la
langue, la langue ! » Mais enfin, quel manque de tact ! Et tout ça sous
zéro degré, coincés par des gendarmes en civil de deux mètres ! Voyons !
Sujet
bisous, lancez !
______________
« Voilà,
ainsi se termine notre émission, je vous rappelle notre adresse, pour nous
envoyer vos reportages et vos images drôles, pour nous demander aussi l’une ou
l’autre rediffusion : « Souriez, vous êtes filmés », BP
6, Schaerbeek 6.
N’oubliez
pas le concours téléphonique que nous organisons au 0900 - 40 - 909, appelez
vite, on vous expliquera tout au bout du fil, vous pouvez gagner, là aussi, des
coffrets vidéo comme Madame C...
Une
dernière incrustation sur l’écran, voilà, celle de notre site internet,
j’espère que tous ces textes à l’écran me laissent une petite place pour vous
dire au revoir, pardon, c’est aussi rangé que mon bureau tout ce bazar...
J’entends même Fred qui me dit que
ça ressemble furieusement à de l’art conceptuel
! Bien vu, Fred, bien vu !
Allez,
portez-vous bien, à vos pinceaux puis à vos caméras : bye bye ! »
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