« Gael
X »
— une enquête de Noëlle Clou
pour Gael —
[Publiée
en juillet 2006, p.78]
Ma copine
m’a regardé d’un drôle d’air : « Tu fais quoi comme travail, cet été,
acteur porno ?! » – « Mais non, Poupousse,
je t’ai dit cent fois déjà, je visionne des films X, c’est
tout ! » Poupousse a levé les épaules
et s’en est allée bosser. Faut savoir qu’il y a un mois, quand j’ai dit oui à la
chaîne, j’étais vraiment raide (c’est le cas de le dire) – l’avance qu’ils
m’ont donnée m’a permis de tenir exactement vingt minutes. J’ai décidé de
raconter ça sous forme de journal que je caserai bien quelque part un jour.
Lundi
19.
Suis passé
à la chaîne voir Evence – c’est lui qui m’a engagé et
ça commence bien, il ne se souvient pas de moi. Je reçois six DVD d’une heure
avec interdiction de faire des copies ou de les diffuser. Je signe un papier où
les mots poursuite, amende et prison reviennent à chaque ligne. Je rentre à l’appart’ en
sifflotant : payé pour voir du cul à la télé, cool ! Je dois vérifier
que tous les rapports sont protégés – c’est les militants antisida qui veulent
ça. Si je vois le moindre zizi sans préso à la minute
fatale, boum, j’arrête le binz et je note l’endroit. La scène sera coupée puis
montée à nouveau (et bien montée comme dit mon pote Marco qui me donne parfois
un coup de main et des super jeux de mots).
Mardi
20, 5 heures du mat’.
Je le
crois pas, je n’ai visionné que deux films ?! Le « Da Vinci
Gode » et « Miction Impossible » – mais qui donne des titres
pareils ?! À force de faire des allers-retours avec la télécommande j’ai
perdu un temps fou. Je me suis bien rincé l’œil aussi. Poupousse
a regardé un peu avec moi, au début, mais très vite elle a eu envie de vomir.
Faut dire que c’est pas vraiment l’amour courtois comme le
vivait Aliénor d’Aquitaine. La première scène du Vinci machin commence
dans un bar à Paris, près d’un distributeur de cigarettes. Lui : Je
m’appelle Bobby. Elle : Tu veux une bière, Bobby ? Lui : Je vais
te baiser plutôt. Et boum, sur le distributeur, envoyez la colle. Ceci dit, pas
de problème pour Bobby, il a une jolie capote avec des picots noirs au bout,
genre oursin.
Mardi
20, midi.
J’ai
trois films au compteur et une dizaine de fiches. Je passe vite les rendre à la
chaîne et récupérer de la matière. Marco vient ce soir avec son graveur de DVD
pour faire des copies pirates. En échange il va m’aider pour les fiches.
Mardi
20 minuit.
Poupousse
a gueulé parce qu’on monopolisait tout le temps sa télé. Tsss, faut que je gagne mon pain,
ma chérie ! On commence à travailler sérieusement après les infos de
minuit. Je deviens salement obsédé, j’imagine que la speakerine est en train de
se faire manger le minou sous la table. La série des « Miction
Impossible » (il y en a plus de vingt) appartient au genre « golden shower ». Je ne vous fais pas de dessin, vous avez
compris, c’est des garçons et des filles qui ne font pas exactement pipi comme
Aliénor d’Aquitaine non plus. Marco ouvre des yeux ronds : « Il y a
des gens que ça intéresse, ça ?! Faut être à la masse ! » Copie,
Marco, copie – et ne pousse pas tout le temps sur Pause pour mater, on n’avance pas !
Mercredi
21.
Je me
suis fait engueuler par Evence car je ne travaille
pas assez vite. Il est marrant, lui, je dois graver les DVD, faire des
photocopies couleur des jaquettes, ne pas me tromper dans les boîtes, remplir
des fiches, fourguer la marchandise chez l’Arménien, ramener du cash sans embrouille...
Il y a Poupousse, aussi, qui commence à faire
vraiment la tronche parce que Marco vide le frigo tous les soirs.
Vendredi
23.
Poupousse
me propose d’aller au ciné. J’ai juste envie de dormir deux ans d’affilée. Ou
alors d’aller à la campagne, loin des bombasses siliconées, des appartements
craignos et des moustaches de sapeur. Je m’endors après cinq minutes du film de
Brian de Palma et je rêve à Evence en string et nœud pap.
Samedi
24.
Je
regarde sur le satellite une sorte d’Ardisson
allemand qui reçoit justement une hardeuse
américaine, Charley L., que je connais sur le bout des seins... euh, des
doigts. La généreuse est en platform shoes et platform poitrine
aussi, elle raconte qu’elle s’est fait mouler la vulve et les hanches pour une
boîte d’accessoires par correspondance. Elle aurait vendu plus de cinq mille
fois son sexe en latex, rien qu’en Allemagne – au fou ! Difficile de se
remettre au boulot après ça car on a droit aux gros plans sur l’article. Nos
steaks ont une drôle de gueule dans le frigo, je les
laisse à Marco qui ne se fait pas prier.
Dimanche
25.
Aujourd’hui,
jour du Seigneur, on se lave les yeux et on n’allume pas la télé. J’ai quand
même des couinements d’amour dans les oreilles et des images de pistons en
folie. À minuit pile je rebranche le lecteur de DVD et j’avance dans le boulot.
Côté Poupousse c’est calme plat au lit depuis une
semaine – tu m’étonnes Yvonne.
Vendredi
30.
Evence
m’a laissé un message sur mon portable ce matin. Il y aurait un gros problème
et je devrais le rappeler. J’essaie d’en savoir plus avec Marco mais Marco est
introuvable. Poupousse aussi d’ailleurs. J’espère que
ces deux-là ne me font pas un enfant dans le dos.
Manquerait plus que je me fasse jeter de l’appart’ par le nouveau couple de
l’année !
Lundi
3.
Week-end
épouvantable, 19 films visionnés tout seul, j’ai les yeux rouges, un torticolis
et un début de syndrome du canal carpien (merci la télécommande). Le salon sent
le fauve, la cuisine pue la pizza pourave et les rideaux sont définitivement tirés
sur mon royaume. Evence me cherche toujours – ça ne
doit pas être pour me souhaiter bon anniversaire (j’ai 24 ans aujourd’hui, on
peut me téléphoner !)
Mercredi
5.
Il
paraît que j’aurais rendu à Evence un DVD vierge il y
a une semaine. Je bafouille des excuses et promets de tout arranger. J’en
profite pour lui demander encore une avance. Il est furax et fait celui qui n’a
pas entendu. Je dois lui jurer que je ne copie rien et que je respecte le
contrat. Je jure et raccroche. Mais où sont passées les Sept Salopes de Shanghai, nom d’une pipe ? Marco est définitivement aux abonnés absents et Poupousse m’a fait dire qu’elle était dans le Midi. Je
n’ose pas appeler mon Arménien : et si j’étais sur écoute ? Je
traverse la ville à pinces pour mon DVD. Bien vu, c’est lui qui avait
l’original, ouf ! Il m’offre un thé à la pomme, vive l’Arménie.
Mardi
11.
Mon
petit bizness roule. Je ne vois même plus les gymnastiques à l’écran. J’ai
appris à repérer le gel en accéléré. Dès que ça brille un peu trop, c’est que
la croisière s’amuse profond. Je passe à la vitesse normale et mate. C’est fou
les objets qu’on peut détourner de leur fonction de nos jours ! Le poste lubrifiant a sûrement explosé le budget
du tournage !
Mercredi
12.
J’en
suis presque à mi-parcours, j’ai visionné 57 films, rempli près de 200 fiches
et appris beaucoup sur le cuir, le savon, la dentelle, les trous de serrure,
les talons aiguilles, les tables de cuisine, de bureaux, de dentiste et Bobby. Poupousse me manque, Evence a
payé son dû, Marco revient vendredi du Mexique où il était en tournage aussi.
Un film sur des cités mayas trouvées dans la jungle – j’espère que les
moustiques ne l’ont pas raté.
(à suivre)
(© Noëlle Clou.
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