Danger, retrouvailles !
Une enquête de Noëlle Clou pour Gael
[Publication : mai 2009, p.126]
Les retrouvailles
d’Ulysse et Pénélope furent précédées d’un bain de sang — car il s’agissait
pour Ulysse d’écarter les prétendants qui tournaient autour de sa belle. Sans
aller jusque là, certaines retrouvailles (mariage, communion, Internet, réunion
d’anciens) peuvent tourner au cauchemar. Noëlle Clou a enquêté.
Dix ans après la
sortie de l’université, je reçois un courrier me demandant de rejoindre les
Solvay 1998 quelque part dans les Ardennes. Tiens, pourquoi pas ? Expatriée
avec mon diplôme tout neuf, j’avais perdu de vue presque tout le monde.
J’arrive en retard malgré mon GPS et je note bien vite que l’assemblée est très
en forme – mais surtout qu’il n’y a pas d’autre fille ! Ouch, ça craint ! Je la fais brève : ces messieurs
m’ont ignorée après les politesses macho d’usage ; pas un qui s’intéressât
au cinéma, à la politique, à l’actualité culturelle la plus basique (ou à
l’imparfait du subjonctif) – à croire que le monde s’arrête aux murs de leur
entreprise. Je me suis ennuyée à périr et juré de ne plus jamais remettre les
pneus dans ce genre de réunion !
[Anne-Laure, 36 ans, économiste]
Ma pire expérience
c’est la réunion annuelle des copropriétaires de l’immeuble. J’y retrouve une
fois par an Madame K. – et Madame K est toujours d’une humeur de chien. Elle
est anti-tout : l’éclairage du hall, le coup de
peinture aux escaliers, la porte du parking (qui bloque une fois sur deux)...
Dans quinze jours je suis sûre qu’elle va nous pourrir la soirée avec la borne wi-fi que j’attends
comme une morte de faim. Elle va revenir comme chaque fois sur l’histoire de ma
boîte aux lettres « avec son étiquette en papier pendant deux ans, au lieu
d’être gravée comme les autres ». Madame K. est ma mère, en plus – elle me
sous-loue le deuxième côté cour, ça ne va pas aider !
[Bella K., 33 ans, traductrice]
Mes copines m’avaient
prévenue : on ne renoue pas avec un ex, surtout trois ans après. Ce
qu’elles ignoraient, c’est que ces trois années avaient été une galère pas
possible, la loose
totale : petits boulots minables, sorties foireuses avec des inconnus – et
jamais une thune. Antony m’avait donné rendez-vous dans une brasserie chic,
j’avais le cœur en mille morceaux. À peine entrée qu’il me reconnaît, se lève
et titube un peu, interdit. Je comprends que quelque chose ne va pas. En
passant devant une glace, je vérifie si j’ai du dentifrice sur le nez – ça
va ; on commande quand même. Il était bizarre – ses cheveux par exemple,
il en avait plus qu’avant alors que ce n’était pas son fort – et sa voix, plus
haut perchée. Au dessert j’ai compris qu’il s’était trompé. Il voulait revoir
une de ses autres ex – et il avait confondu. La honte !
[Claudia, 26 ans, maquettiste]
Depuis qu’il est
veuf, mon père ne vit que pour les anniversaires en famille. Il tient
soigneusement un calendrier gonflé de notes et d’une centaine de prénoms qu’il
souligne au Bic trois couleurs. Je coupe à presque tous ses raouts mais pas au
sien : l’anniversaire de Papa, c’est sacré. Sauf qu’il y a toujours trop
de monde et que l’appartement vire au sauna. Les fumeurs bloquent les toilettes
et envahissent le balcon – il est près de s’écrouler sous leur poids ; ça
sentait déjà le chou dans l’ascendeur, ici c’est intenable, je deviens dingue.
Comme petite dernière j’ai droit au sempiternel questionnaire de police :
alors, tu as trouvé un mari ? Tu n’achètes toujours pas ta maison ?
Ils t’ont donné l’augmentation, tes Allemands ? Dany, tu fumes trop – tu
as encore maigri, tu ne serais pas malade au moins ?
[Danièle, 38 ans, juriste, santé de fer]
Il y a quelques
années je m’étais inscrite dans un groupe de thérapie
« automutilations ». C’est une amie qui m’avait donné l’adresse.
Comme j’avais honte, j’ai participé aux premières séances avec un énorme
bandage sur la tête. Je changeais même l’endroit des taches de mercurochrome
pour faire plus vrai (sans que ça ne fasse trop gore, quand même !) Très vite, une équipe de télé est venue
faire des images. On nous a promis qu’il n’y aurait pas de gros plans et que
nous serions filmés de dos – juste quelques cicatrices. Le journaliste qui
expliquait tout ça était à côté de moi. Malgré le look de momie il m’a tout de
suite reconnue – c’était un cousin. Je lui ai fait promettre de ne jamais
évoquer ça – sinon il aurait la langue coupée.
[Erin, 37 ans, webmestre d’un site médical]
Le fils prodigue est
une belle histoire, mais mon père n’a pas vraiment tué le veau gras quand je
suis revenue ! Après quatre ans dans l’armée (Chypre et Sud-Liban), j’ai
démissionné et je suis rentrée en Belgique. Mon mec m’avait larguée et je suis
passée voir mes parents. La chambre que j’occupais près du garage était louée,
mes affaires données à mes frères et sœurs ou vendues – il ne restait rien. On
m’a même réclamé de l’argent pour de prétendues dettes de jeu. Sympa, les
retrouvailles, ça m’a presque donné envie de partir fissa pour
l’Afghanistan !
[Frédérique, 29 ans, logisticienne]
La réunion des
anciens de mon école se tient tous les cinq ans. Pendant les six mois qui
précèdent tout le monde échange des e-mails
longs comme le bras pour fixer la date et « préparer » l’événement.
Impossible d’y échapper. Si j’avais de l’argent je ferais touriste de l’espace
jusqu’à Noël. Les rêves de ces abrutis sont mes cauchemars : c’est à qui a la plus belle voiture, les gosses les plus intelligents,
le boulot le plus « enrichissant ». Faut voir aussi comme on vous
passe le visage et le corps au scanner ! Avoir le look de Julia Roberts
c’est déjà limite péremption ! Sans parler de la nourriture : rien
que du home-made impossible à
identifier que chacun rapporte des marches de l’Empire. Eh, les filles, on
n’irait pas au resto, cette année ? Non. Bon. D’accord. J’ai mal au crâne,
quelqu’un sait où est le Dafalgan ? Près du
Tibet ?! – C’est ça, oui, et le Nurofen n’est
pas loin du Yémen. Ça commence fort, adieu à tous.
[Gala, 40 ans, libraire]
Je ne sais pas ce qui
m’a pris de créer un profil sur Facebook. C’était il
y a deux ans et personne ne connaissait ce truc en Europe. Je me suis inscrite
quand j’étais aux États-Unis, j’ai fait comme les autres filles de la boîte.
Maintenant je suis accro, j’anime trois groupes différents, ça me prend un
temps fou. Le problème c’est les glus qui vous retrouvent. Des gens que vous
aviez enterrés sous dix tonnes de gravats dans vos souvenirs. Eh ben ils
rappliquent vite fait ! Toujours pour demander quelque chose, jamais pour
partager la villa sur l’île de Ré ! Tu te souviens quand on était
ivres-morts tous les deux chez Pablo ? Non. A+.
[Hermine, 33 ans, contrôleuse de gestion]
Moi j’aimerais de
longues, très longues retrouvailles avec la chance ! Je suis tellement
dans la panade que j’envisage sérieusement de vendre quelques organes. Pas des
oranges – des ORGANES ! Y a-t-il un chirurgien pas trop manchot dans la
salle ?
[Iseult, 24 ans, bachelière en médecine]
Les situations que je
fuis : le club des gros lourds qui pointe du doigt les anciens et qui
hurle : « Putaing cong,
t’as pas changé, toi – sauf la canne et la hanche en plastique, ah ah ah ! » ; Marcel qui
me tend un verre de rouge avec ses grosses mains et qui le retire quand je veux
l’attraper ; Josiane qui pince à mort la joue des gens qu’elle
harponne ; tante Machine qui pue du bec et qui a toujours des histoires
morbides à raconter ; la dame qui grignote au buffet en me tenant la jambe
et que personne sait qui c’est ; les camarades imbibés qui expliquent
qu’ils font des exercices de foie...
[Jennyfer, 32 ans, monitrice de
plongée]
Je déteste toutes les
réunions, boulot, anniversaire, vétérans de ci ou de ça. Aujourd’hui on se
réunit pour tout : fin d’année, début d’année, école... – il y avait même
des réunions de vacanciers dans mon dernier hôtel ! Vous partez pour la
semaine, loin des copines et des soucis, pourquoi faudrait-il se taper des
inconnus qui ont juste partagé un jacuzzi avec vous ? Au prochain
tremblement de terre il y aura sûrement des gens pour crier : « Vite,
vite, il y a un tremblement de terre au Japon, faisons une
réunion ! »
[Katyane, 34 ans, formatrice]
Les vernissages sont
souvent pénibles, avant, pendant et après : avant je me dis que je dois
perdre du poids, arrêter de me ronger les ongles, bronzer un peu ; pendant
je dois tenir à l’œil les casse-pieds – je me cache dans les queues qui se
forment partout, devant les œuvres, aux buffets, aux toilettes – et là je
retombe évidemment sur ceux que je voulais éviter ; après je dois répondre
aux parasites qui ont réussi à m’extorquer mon portable ou mon e-mail...
[Leone, 42 ans, peintre]
La parade
anti-retrouvailles : (1) ne pas y aller (2) y aller avec un appareil photo
et shooter sans arrêt (3) s’absenter pour recharger la batterie de l’appareil
et ne plus revenir.
[Maryse, 36 ans, diplomate]
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Connaissez-vous l’association de groupements
de réunions d’ensembles de communautés d’unions de rassemblements
d’agglomérations de sociétés d’alliances d’attroupements des personnes qui
aiment vivre seules?
[Philippe
Geluck]
Le problème avec les réunions d’anciens,
c’est que nos vieilles flammes sont encore plus vieilles.
[Doug Larson]
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