Dix déraisons de partir à NYC
Une enquête de Noëlle Clou Remix pour Gael
[Publication : septembre 2008, p.198]
« L’hôtel Mercer, SoHo, les restaurants, les bars, les galeries, le New Museum, le rock, Greenwich Village, Chelsea, le Joyce
Theater ».
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New York est la ville majuscule du monde, debout et raide, comme la
chanta Céline dans le Voyage au bout de
la nuit :
« On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles
encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles
sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles
s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là
l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. »
Mais
non, Louis-Ferdinand, Gotham City est baisante, et
sexy, et toujours plus verticale ! Son énergie
vous irradie dès l’aéroport, distant de vingt kilomètres. Il faut essayer Newark car la traversée de l’Hudson par
les ponts cantilever est à couper le souffle. Et l’on aura tâté ainsi du New
Jersey, patrie des Sopranos.
Capitale
mondiale de l’art — ancien, moderne et contemporain, avant Londres, Paris,
Berne ou Shanghai —, New York est généreuse ; sortez un appareil photo,
fermez les yeux et déclenchez : vous avez un chef d’œuvre, où que vous
soyez dans la ville !
À ses
débuts, pauvre comme Job, Robert
Rauschenberg se promenait dans SoHo cherchant de
quoi alimenter ses peintures, sculptures et « Combines ». Il louait
la générosité de la rue, toujours prête à offrir ses trésors, bouts de
planches, cordes, métaux divers, coupures de presses, photographies. Il disait
en plaisantant que depuis son départ pour la Floride en 1973 la ville s’était
encrassée : il n’était plus là pour la nettoyer !
Générosité
de la ville, générosité des gens. On est chez soi à New York, 40% des habitants
sont nés à l’étranger, on y parle plus de cent langues — dont la vôtre, bien
sûr, et celle du roi dollar. Heureusement que l’euro est au plus haut ces
temps-ci, car voici les derniers must
de la ville. On commence par SoHo, son cœur battant, plus hype que jamais !
L’hôtel Mercer, au carrefour Mercer Street et Prince Street, est au centre de tout. À
défaut d’y loger (650 dollars la nuit, demandez les chambres 507 ou 508) allez-y boire un verre, bruncher ou dîner. Vous rencontrerez sûrement un « Rich & Famous » façon
Christina Aguilera, Karl Lagerfeld ou George Clooney (dont on se murmure qu’il y réserve une suite à
l’année). Pour vous
indiquer la classe absolue de l’endroit, sachez que le papier à lettre mis à
votre disposition par l’hôtel (si vous prenez une chambre), affichera vos nom et prénom,
suivis de la mention « in residence » !
À noter que l’un des plus beaux Apple
Store du XXIe siècle, tout en verre, est juste à côté dans
Prince Street.
Fanelli Cafe, le coin en face. On y prend l’apéritif dès
18 heures, accoudé à l’immense bar en bois qui date de 1847. Va-et-vient
des clients, il y a toujours de la place, même pour y déjeuner ou dîner. Le
personnel est cool et la nourriture so-so, mais
l’ambiance de pub londonien avec barmen aux yeux de velours et serveuses
cambrées est pour mourir !
Mercbar, à vingt mètres dans Mercer, au n°151 : des canoës au plafond qui tamisent
la lumière, un patron adorable et des margaritas qui
vous colorent les pommettes juste comme il faut !
Zoë, le restaurant sur Prince, à vingt mètres
aussi, est doucement en perte de vitesse malgré ses pizzas fabuleuses.
Préférez-lui Balthazar, deux blocs
plus loin, carrefour Spring et Crosby. Les cinq
marquises rouges de cette grande brasserie française très courue sont
immanquables. La cuisine qui ferme à trois heures du matin, tous les jours, est
une bénédiction pour l’après-cinéma ou l’après-concert !
Le
MoMA Design Store, ouvert 7j/7, juste en
face de Balthazar, possède autant de merveilles que la maison mère, uptown, 53e
rue. Vous y trouverez le cadeau arty qui rétame la concurrence et parfois le portefeuille (comme ces imperméables en
latex qui donnent la chair de poule — et pas qu’aux pervers — tellement ils
sont beaux).
Revenez
dans Mercer Street par Spring
et tournez à gauche : Babeland vous attend au n°43 à partir de 11 heures du matin.
On y vend des conférences, des manuels illustrés qu’on lit d’une seule main et
des sex-toys : c’est
une activité qui monte, si l’on peut dire, car cinq boutiques Babeland ont déjà ouvert hors New York !
On
se repose à deux pas au Pain Quotidien de
Grand Street, n°100, vaste îlot de paix en face du magasin-loft de Yohji Yamamoto, lequel ressemble à une
galerie d’art tellement tout y est luxe, calme et géométrie. Mmmmmh, le basket de sept pains différents !
Le jus d’orange ! L’espresso double ! Les
müeslis !
Mel Bochner
chez Peter Freeman
Les
galeries d’art pullulent toujours à SoHo, malgré l’effrayante montée en puissance du quartier
milliardaire de Chelsea (après
celui, historique et plus feutré, du Museum Mile sur la
5e Avenue). Ne
manquez pas les galeries qui s’empilent au n°560 de Broadway : poussez la
porte du rez, prenez l’ascenseur pour le 6e
et pâmez-vous chez Peter Freeman ou Janet Borden, tout y est de qualité et
c’est à 75 mètres de l’hôtel Mercer.
En
remontant Prince Street vers le Bowery on explorera
le délicieux rectangle formé par Mott, Elisabeth,
Houston et Spring : boutiques trendy, antiquariat léger, escarpins de rêves, coiffeur, le triple
loft du restaurant Public avec
terrasse-fumoir et musique lounge, le bar/restaurant
brésilien Barbossa
qui ouvre sa façade vers la rue en été — il y en a pour toutes les bourses dans
cette partie calme de la ville, laquelle évoque de manière irrésistible le
Marais parisien. Le double tag aux seaux de peintures est craquant, faites-vous
prendre en photo dessous !
Au
bout de Prince Street vient d’ouvrir le New
Museum, temple de l’art contemporain le plus
pointu (fermé les lundi et mardi),
aux expositions stimulantes — il faut discuter avec les jeunes gardiens des
salles, lesquels connaissent mille anecdotes sur les artistes présentés et
mille tuyaux sur le quartier du Bowery, car ils y
habitent. L’œil, de la terrasse du 6e, embrasse tout le sud de
Manhattan — c’est à donner le vertige. La boutique et les deux cafétérias
seront des havres bénis pour les marcheurs.
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|Encadré, début|
Deux nouveautés récentes à New York :
les bancs le long des magasins et les taxis touch-screen.
Les bancs
de bois qu’on trouve à SoHo étaient destinés aux fumeurs d’abord. Les gérants des bars,
cafés et restaurants se sont dit qu’il fallait penser un peu à ces nouveaux
parias. L’effet fut rapide : tout le monde adopta ce principe, ajoutant
des bancs partout, les adossant aux lofts, aux hôtels, aux façades borgnes, aux
entrepôts. Des microsociétés s’y assemblent désormais, s’y retrouvent,
discutent, regardent passer les gens, rient, s’esclaffent : s’y asseoir seul
ou en groupe est un plaisir de chaque instant.
L’autre nouveauté c’est qu’on peut payer
désormais son taxi sans tendre de
billets ou de carte de crédit au conducteur ; il suffit d’effleurer un
écran plat situé à l’arrière, de passer la carte de crédit dans le lecteur, de
valider par un second effleurement : c’est payé ! Durant le voyage
l’écran — encadré de publicités, on est en Amérique ! — se transforme en
plan de ville façon Google : on sait toujours où l’on est dans Manhattan,
en temps réel, c’est pratique et rassurant.
|Encadré, fin|
Sorties
nocturnes : le jazz
c’est bien, le rock c’est mieux.
Le
vendredi et le samedi soir, oubliez les vieux dans leur tête et les touristes. Ceux-là
se réfugient dans les valeurs sûres que sont les concerts de jazz au Village Vanguard
et au Blue Note. Préférez, pour une
nuit vraiment déraisonnable, le carrefour encombré de jeunesses formé par
Ludlow et Stanton Street. On est dans le Lower East Side où s’éclate depuis toujours la
vraie scène rock new-yorkaise. À côté de l’ancien atelier de Jasper Johns sur
East Houston (devenu
une boîte de hip-hop célèbre, The Bank), se trouve le Mercury Lounge ; entrez à tout moment,
faites-vous tamponner le bras, sortez après les cinq chansons du groupe sur
scène et grimpez chez Arlene’s Grocery à 50
mètres ; restez-y pour les deux sets de rêve d’un autre groupe puis
sortez, fumez, parlez aux noctambules habillés flashy, ils portent le même sourire béat aux lèvres que vous !
Entrez ensuite chez Piano’s,
presqu’en face, avalez une vodka-citron, écoutez un troisième groupe aussi
incroyable que les précédents... et recommencez le parcours !
Toutes
ces adresses sont à dix dollars l’entrée, c’est donné pour un tel voyage dans
le temps, on se croirait à Manchester avec Ian Curtis et Joy Division, ou à
Liverpool avec les Beatles : ouvrez les oreilles et les yeux, embrassez
qui vous voulez, la plus belle nuit de votre séjour est là, et rien que
là !
Greenwich
Village 2.0
Ce
quartier semble sorti des guides au profit du Meatpacking District cher aux héroïnes de Sex and the City. Tant mieux. Vous y déambulerez tranquillement, y
ferez des découvertes charmantes (magasins de disques vintage, boutiques de souvenirs
décalés, petits cafés européens),
y trouverez aussi des plaques d’égout surréalistes Made in China ou Made in India ! Quand on songe à la puissance des aciéries
américaines d’antan, on reste muet... Avant de remonter Bedford Street sous les frondaisons (en venant de Prince), allez jeter un œil au Walker Park de Clarkson Street. C’est un
endroit familial et reposant où Edgar Allen Poe aimait à se promener. Ce parc
est en dehors de tous les circuits — sauf celui des cinéphiles et des amateurs
d’art : vous y trouverez la piscine en plein air de Raging Bull où Robert De Niro draguait Cathy Moriarty dans une scène d’anthologie. La piscine est
décorée aujourd’hui par les fresques de Keith Haring et
le gardien ne demande qu’à vous les montrer de plus près – comme la
piscine intérieure art déco,
insoupçonnable de la rue.
Chelsea
Avant
d’attaquer le quartier de Chelsea il faut absolument investir une des tables de
l’Empire Diner afin de planifier son parcours (10e Avenue et 22e
Rue). Jeff Koons
y dialogue parfois avec une Cesar Salad
baignée de Jade Kiss, le cocktail de la semaine. La
terrasse est agréable — mais à peine plus que le comptoir intérieur art déco ! Pour un vrai déjeuner
italien il faut cependant pousser deux blocs plus haut dans
l’avenue, chez Bottino,
même trottoir, juste après la 24e Rue. C’est l’endroit le
plus cutting edge du
quartier, squatté en permanence par les marchands d’art — avec son grand bar
glamour et son jardin.
Planifier son parcours dans Chelsea c’est choisir une vingtaine de
galeries parmi trois cents. Elles se ressemblent toutes — white cubes impavides, béton laqué au sol, air conditionné, œuvres
immenses. Les incontournables poids lourds sont Gagosian,
Paula Cooper, Sonnabend, Marian Goodman, Shafrazi, PaceWildenstein,
Gladstone, Yvon Lambert, Matthew Marks, Sperone, Zwirner... Tous ces lieux, accessibles aux handicapés, sont
des temples d’élégance et de beauté. Certains sont neufs, d’autres d’anciens
entrepôts aménagés — tous vous laisseront un souvenir inoubliable.
S’il
fait trop chaud, traversez la 11e Avenue à hauteur de la 18e
Rue et allez déjeuner au bord de l’Hudson, sur le Chelsea Pier qui jouxte un
practice de golf aux filets tendus vers le ciel : c’est la Chelsea Brewing Company — cuisine américaine passe-partout mais
embruns, petite brise et mouettes comme à Ostende ! Ne manquez pas en
sortant l’unique immeuble-tour construit par Frank Gehry à New York, lequel prend la
lumière de manière incroyable grâce au rose parme de ses façades vitrées. Jean Nouvel élève juste à côté une tour
de verre aux mille réfractions qui s’annonce de toute beauté.
Il
y aurait tant à dire encore : l’Angelika Film Center non
loin de l’hôtel Mercer, par exemple (et les cinémas new-yorkais
en général, aux escalators sans fin, aux projections splendides, au public chaleureux) ; le Gramercy Park interdit aux non-riverains (il faut être millionnaire pour en avoir la
clef), mais si beau pendant
l’été indien ; le Joyce Theater,
petit bijou art déco (8e
Avenue et 19e Rue)
aux spectacles de danse contemporaine sidérants (il est flanqué, à 15 mètres, d’un lounge exquis et d’un restaurant immense, tous deux
classieux à souhait) ; les
librairies (Strand, sur Broadway, possède un
coin bourré d’ouvrages en français tandis que Forbidden Planet, juste un peu plus haut,
rassemble les amateurs de pulps). Pour
quelques dollars vous ramènerez de Trash
& Vaudeville (carrefour
3e Avenue et St Marks Place)
des t-shirts, des bracelets cloutés, des ceintures gothiques, des vêtements
ahurissants jamais vus ailleurs — ainsi que le sourire piercé et les tatouages de la
vendeuse filiforme —, c’est le paradis de la fripe rock et branchée. Mais c’est
tout NYC qui est un éden généreux !
Prenez
vite votre envol pour la ville debout et raide que chantaient Céline et
Rauschenberg — mais avant que kérosène et dollar ne s’envolent aussi...
[Ceci n’est ni un Donald Judd,
ni un cimetière]
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[Plusieurs
images de cette page viennent de Flickr :
elles ne figurent pas dans l’article original de Gael]