Se perdre dans les Marais
Une enquête de Noëlle Clou pour Gael
[Publication : juillet 2010, p.138]
Le week-end s’annonçant beau, Noëlle Clou
a sauté dans le Thalys pour Paris – objectif le Marais. Cet îlot de résistance,
ville dans la ville, a échappé aux coupes claires du baron Haussmann et réussi
à marier l’ancien au moderne. Moins tape à l’œil que les Champs, plus
authentique que Saint-Germain, ce labyrinthe d’hôtels
particuliers, de boutiques, de galeries d’art, de bistrots et de terrasses, se
déploie entre la place des Vosges et l’arrière du Centre Pompidou.
Attention : y arriver est simple, s’en extraire pratiquement impossible –
vu la topographie des lieux, l’absence de transports en commun et de
taxis ! Autre danger : la gentryfication, le commerce de masse et les promoteurs
immobiliers ! Ils guignent le quartier, mettez donc vite vos Repetto dans les
pas de notre guide avant qu’il ne soit trop tard !
On
commencera la journée par une expo au Centre Pompidou – baptisé Notre-Dame des Tuyaux par les habitants
du Marais ! Lucian Freud, par
exemple, y expose ses œuvres charnelles jusqu’au 19 juillet. Au 6e
étage, à midi, les minces et ravissantes pin-ups du restaurant Georges (propriété des frères Costes),
libèreront l’accès à la plus belle terrasse de la ville. Déjeunez léger,
grillez une cigarette, admirez les beaux garçons qui prennent les commandes et
reprenez l’ascenseur vers le bas – car il temps de passer aux choses sérieuses ! La
galerie Nathalie Obadia,
par exemple, juste à côté, 3 rue du Cloître Saint-Merri,
où il fait bon prendre le frais et admirer quelques œuvres contemporaines.
Demandez en sortant le guide gratuit « Galeries Mode d’Emploi » – il
se présente sous la forme d’une double feuille A4 bien pratique. Prenez ensuite
à droite un petit bout de la rue du Renard et traversez vite pour remonter la
rue de la Verrerie. Sur la gauche, à hauteur du n°40, il y a un beau mur végétalisé par le BHV (non, ce n’est pas le fantôme de
Bruxelles-Hal-Vilvorde qui rôde mais le Bazar de l’Hôtel de Ville !) La
rue de la Verrerie devient Roi de Sicile à hauteur du Little Café, une mini-terrasse charmante où il fera bon s’arrêter – s’il
y a de la place ! À 300 mètres de là, dans la même direction, mais de
l’autre côté de la rue de Rivoli, se trouve la MEP – la Maison Européenne de la Photographie –, must absolu des amoureux de l’image
argentique et des jardins de pierre japonais... La MEP se trouve à quelques pas
de la station de métro Saint-Paul, bon point d’entrée du Marais pour ceux qui
aiment voyager sous terre.
Via la rue Pavée, qui coupe le Roi de
Sicile, on arrive à la jolie rue des Rosiers, en plein cœur du quartier juif.
Boutiques, restaurants, librairies – et crochet indispensable via le n°10, pour
découvrir le Jardin Franc-Bourgeois-Rosiers, peu connu, îlot intérieur et
havre de paix de plus de 2000 m2 (également accessible par la Maison
de l’Europe au 35 de la rue des Francs-Bourgeois). Le
restaurant Chez Marianne, au n°2 de
la rue des Hospitalières Saint-Gervais, est devenu un
peu touristique – mais les falafels et la vodka polonaise de l’épicerie sont un
délice ! À un jet de pois chiche de là, au 51 rue Vieille du Temple,
nouvelle boutique Maje occupant les
lieux d’une ancienne brasserie.
Cette rue Vieille du
Temple est une mine de bonnes adresses : en descendant les numéros on
tombera sur les célèbres Philosophes,
au 28, restaurant/terrasse/bistrot où il fait bon s’afficher nonchalamment – la
tarte Tatin y est pour mourir ! Si vous ne
trouvez pas de guéridon libre, la large impasse pavée qui fait le coin peut
servir de plan B (rue du Trésor). C’est un lieu calme et magique, très vert, où
vous ne manquerez pas de visiter la galerie
Vidal-Saint Phalle par exemple (au n°10).
En remontant les
numéros de la rue Vieille du Temple on aggrave son cas – méfiez-vous du
syndrome de Stendhal, trop de bonheur tue le bonheur ! Il y a d’abord la
belle porte de l’hôtel particulier Amelot de Bisseuil, au 47, avec ses têtes de Méduse entourées de
serpents. Il y a surtout le restaurant Des
Gars dans la Cuisine au 72, une adresse de rêve pour déjeuner, dîner ou bruncher le
dimanche (murs en mosaïque, banquettes capitonnées, pas plus de 40 places,
demander à être installé au bar si tout est réservé). Les gars en question sont Jean-Jacques, Gil, Jérôme et Fred ;
physiques de Chippendale, œil américain, humour dévastateur – ils vous feront craquer !
Plus haut encore, au
coin de la rue de la Perle, un bistrot plein de jeunesses ébouriffées – la Perle, justement, terrasse double et
apéritifs très courus !
Trois « Measurement
Paintings » à la manière de Mel Bochner
On continue jusqu’au
108, un immeuble incontournable, celui qui abrite les belles galeries Yvon Lambert, Xippas et Serge Leborgne. Les trois sont à visiter
impérativement, car on est ici au cœur de la création contemporaine – comme se
visitera la petite librairie à front
de rue : livres d’artistes introuvables, objets arty à prix doux, cartes postales
qui feront la joie des malheureux restés au pays !
Plus haut encore, au
carrefour avec Debelleyme, une placette merveilleuse,
camp de base idéal pour explorer les boutiques überchic et pas trop chères des
environs. Shine,
par exemple (15 rue du Poitou) : sacs, chaussures affolantes, pulls
chamarrés, blousons... Notez que toutes les enseignes, pratiquement, restent
ouvertes le dimanche dans le « Haut-Marais », comme on l’appelle
désormais (le New York Times fabriquant même NoMa pour « North-Marais » !) ; faites-vous donc plaisir
et essayez de loger au cœur dudit NoMa, à l’Hôtel du
Petit Moulin (29 rue du Poitou), c’est une adresse haut de gamme décorée
par Christian Lacroix ; réductions possibles le dimanche. À partir de là
serpente un long itinéraire pour les inconditionnels de l’art et du shopping trendy : on
enquille d’abord toute la rue Charlot (les galeries Frédéric Guilloux et Chantal
Crousel sont aux numéros 8 et 10 ; on jette
un coup d’œil en face au monolithe de miroirs posé dans la cour du Passage de Retz, lequel programme
souvent des expos temporaires intéressantes) ; on fait toute la rue de
Saintonge ensuite, parallèle à Charlot, où se trouvent deux galeries
incontournables : celle de Martine
et Thibault de la Châtre d’abord (au n°4 – œuvres délicieuses de François
Morellet et de Glen Baxter en juillet), celle d’Almine Rech au n°19 (dont le siège est
désormais à Bruxelles). Si vous poussez jusqu’à la rue de Bretagne, tout au
nord, ne manquez pas le plus vieux marché de Paris, celui des Enfants-Rouges (accès par le n°39,
juste à côté de la grande et belle librairie Tout un roman) ; ce marché réunit du mardi au samedi une vingtaine
de commerçants sous une jolie halle.
De là on redescendra
tout Debelleyme jusqu’à la rue de Turenne, sans rater
les poids lourds que sont les galeries Thaddaeus Ropac (au n°7) et Karsten
Greve (au n°5). Tout près, au 76 de la rue de Turenne, vous visiterez la
première des deux galeries somptueuses d’Emmanuel
Perrotin –
la seconde se trouvant derrière le coin, rue Saint-Claude, au n°10 de l’impasse
du même nom. On terminera, tant qu’à être dans le coin, par Frank Elbaz
(7 rue Saint-Claude) et Polaris
(15 rue des Arquebusiers)... Les inconditionnels du design classieux et de la
décoration originale auront poussé jusqu’à la Gallery Serge Bensimon, 111 rue de Turenne, un
nouvel espace inondé de lumière duquel il est impossible de revenir les mains
vides...
Certes, les galeries
d’art c’est beau et c’est gratuit, mais qu’est-ce que ça fatigue ! Un
détour s’impose pourtant, afin de rendre hommage à Florence Loewy et sa formidable librairie, 9 rue de Thorigny, spécialisée dans les éditions rares de livres
d’artistes. Le vendeur, sévère au premier abord, comme souvent à Paris, se
révèle être un puits de science et un homme charmant !
Un peu plus loin dans
la même direction, les amateurs d’artisanat africain contemporain pousseront la
porte de CSAO, 9 rue Elzévir –
grande boutique pleine d’objets plus incroyables les uns que les autres :
bijoux, bracelets, nattes, mallettes en métal de récupération – tout met de
bonne humeur, vu l’élégance des couleurs et l’ingéniosité des
assemblages ! On restera en Afrique en allant déjeuner du côté pair de la
rue, au Petit Dakar (n°6), agréable
restaurant sénégalais dont les tieboudien et accras
sont réputés. À côté, pour les amateurs de peinture et d’architecture des
Lumières, le petit musée Cognacq-Jay,
complètement restauré, est une bonbonnière remplie de trésors (Chardin,
Rembrandt, Georges de la Tour, Ruysdael, Watteau, Fragonard...).
Complètement sur les rotules, l’idée de pratiquer le fika vous traverse
l’esprit : coup de chance, vous êtes justement devant l’Institut suédois à Paris, 11 rue Payenne ! Le fika, selon le site Internet de l’Institut, c’est « le fait
de s’asseoir un moment avec une bonne tasse de café accompagnée d’une
pâtisserie faite maison ». L’ancien hôtel particulier de Marle abrite donc
la seule institution culturelle suédoise dans le monde – et c’est bien dommage
pour le monde, car le jardin et le café sont une bénédiction en été !
(ouverture tous les jours de midi à 18 heures, sauf le mardi ; expo
temporaire sur le design jusqu’au 17 juillet).
La rue Payenne
donne dans la rue des Francs-Bourgeois, laquelle
dessine avec la rue Vieille du Temple une croix bien nette qui structure tout
le Marais. Ces Francs-Bourgeois vous mèneront à la place des Vosges, autre must absolu du Marais pour qui aime les antiquaires et les grands espaces. La signataire de
ces lignes reconnaît humblement qu’elle garde un souvenir ébloui de son séjour
à l’hôtel Pavillon de la Reine ;
l’entrée sous les arcades donne sur la place (anciennement Royale – elle fut débaptisée à la Révolution en l’honneur du
département des Vosges qui fut le
premier à payer ses impôts !) Si vous voulez déjeuner, le Café des Musées, 49 rue de Turenne, à
100 mètres de l’hôtel, vous laissera un souvenir inoubliable malgré sa façade
classique : cuisine française délicieuse et pas chère, service attentif –
c’est une adresse appréciée des connaisseurs... qui ne la crient pas sur les
toits !
Comme toujours, le
moment du bilan est aussi celui des regrets : regret de n’avoir pas évoqué
les musées et les grandes institutions du Marais – comme le Musée Picasso (fermé deux ans pour
travaux – l’immense miroir de Daniel Buren qui le coupe en deux est toujours
visible de l’extérieur) ; ou le musée Carnavalet (toujours intéressant
à parcourir – ne fut-ce que pour son architecture) ; de même pour les
hôtels de Soubise et de Rohan (qui sont occupés par les
Archives nationales) ou l’hôtel de Sully,
62 rue Saint-Antoine. Quant au musée de la Magie
(11 rue Saint-Paul, non loin de la Seine, ouvert les mercredis, samedis et
dimanches de juillet et août), c’est une bénédiction pour les petits – et une
malédiction pour les grands, incapables d’expliquer le moindre
« truc » des illusionnistes qu’on y trouve !
Oui, il y a vraiment trop de
choses à voir au Marais, il faudrait se couper en deux. Mais restons zen, il y
aura d’autres week-ends, et d’autres occasions. Car comme me le confiait un
ami : « Avant j’étais schizophrène, maintenant nous allons mieux ! »
(c) Noëlle Clou
__________
Hôtels :
Hôtel du Petit Moulin (Christian Lacroix) :
http://www.hotelpetitmoulinparis.com/
Le Pavillon de la Reine
http://www.pavillon-de-la-reine.com/
Restaurants :
Georges
(au 6e
etage du Centre Pompidou)
Des Gars dans la cuisine
http://www.desgarsdanslacuisine.com/
Le Petit Dakar
(6 rue
Elzévir)
Le Café des Musées
(49 rue
de Turenne)
Chez Marianne
(2 rue
des Hospitalières Saint-Gervais)
Librairies :
Flammarion
(rez-de-chaussée
du Centre Pompidou)
Librairie de la galerie Lambert
(108 rue Vieille du Temple)
Florence Loewy
(9 rue de Thorigny)
Tout un roman
(39 rue de Bretagne)
Cafés/Bistrots :
Little Café
(1 rue du Roi de Sicile)
Les Philosophes
(28 rue Vieille du Temple)
La Perle
(78 rue Vieille du Temple)
Culture :
Maison
Européenne de la Photographie
http://www.mep-fr.org/actu_1.htm
Musée Carnavalet
(29 rue de Sévigné)
Institut suédois de Paris
(11 rue Payenne)
Musée Cognacq-Jay
(8 rue Elzévir)
Musée de la Magie
(11 rue Saint-Paul)
Shopping :
Maje
(47 rue de Saintonge)
(49 rue Vieille du Temple)
Shine
(15 rue du Poitou)
CSAO
(9 rue Elzévir)
etc.
Le
site du NoMa :
http://hautmarais.blogspot.com/
Expo Mimmo
Jodice à la MEP
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