« Toujours la même chanson ! »
— une
enquête de Noëlle Clou pour Gael —
[Publiée en février 2003 p.88]
Quelles sont les
phrases qui assassinent nos hommes ? Les remarques qui les
humilient ? Les reproches qui leur donnent des envies de meurtre ?
Noëlle Clou a mené l’enquête...
— Je ne supporte pas
que ma femme me reproche d’être un ours ! On n’est pas obligé de
l’ouvrir sans arrêt, non ? Et en plus elle me le reproche dans les pires
conditions — quand ses copines sont là ! Elle se tourne tout à
coup vers moi : « Alors, chou, tu n’as rien à dire, comme
d’habitude ? On parle des mecs, là ! Vas-y, exprime-toi ! »
Qu’est-ce que je me tape la honte ! Rouge pivoine ! J’ai envie de
creuser un trou et de faire le mort ! Et de la buter aussi ! (Je
sais, je devrais inverser les deux opérations...).
[Yvan, 26 ans,
dresseur de caniches]
— Moi, elle me
reproche toujours de ne pas l’écouter. J’ai trouvé la parade maintenant :
je fais celui qui n’a pas entendu ! J’ai développé tout un système :
jouer à celui qui devient sourd depuis un an ou deux, faire semblant d’être
dans la lune, arriver à table avec quelque chose à lire (comme ça j’ai la tête
ailleurs quand elle parle...). Au pire, si elle me prend par les épaules, me
regarde droit dans les yeux et me pose les questions existentielles que tous
les couples doivent affronter un jour (du genre « Quand est-ce que tu
répares la sonnette ? Dis à ton fils d’aller se faire couper les
cheveux ! C’est qui la nouvelle pétasse au bureau qui me fait attendre au
téléphone ? »), au pire, donc, j’ai toujours la solution de me
transformer en bloc de marbre : « Je réfléchissais à la réponse,
tiens ! » Ça la tue...
[Louis, 39
ans, ingénieur du son]
— Ce que je ne
supporte pas, ce sont les remarques sur mon emploi du temps. Je fais ce que je
veux, crisse de tabernacle ! C’est déjà assez casse-pied de gagner
sa vie tous les jours au boulot, d’être harcelé sans arrêt au téléphone et au
portable ! Moi je me débranche quand ça me chante ! Et je fais ce qui
me plaît en soirée ou le week-end : le pub, une bonne bière et les
danseuses qui passent dans le coin ! Si elle pouvait, la garce, elle me
grefferait un GPS dans le cerveau, histoire de surveiller mes
déplacements : tintin, mam’zelle ! Parlez après le bip sonore, on
vous rappelle dans dix ans ! Caaâlice !
[Charles-Marie,
35 ans, garde-forestier en Gaspésie]
— Bon, il paraît que
j’essaie d’avoir toujours raison ! Je ne comprends pas cette
remarque : vous connaissez beaucoup de personnes qui essaient d’avoir
tort ? Ah, ah, on est moins fière, maintenant ! On a tout faux comme
d’habitude ! Allez gamine, circulez, y a rien à voir, c’est comme ça et
c’est point barre !
[Éric, 40 ans,
télégraphiste]
— Vous connaissez la
définition de l’égoïste : c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi. Eh bien
je l’aurai entendu ce reproche : « Tu es égoïste, chéri, tu ne parles
que de toi, de ton petit confort, de tes petits soucis, de ta bande de copains
et de ton boulot ! » Toutes les femmes disent ça aux mecs, ça
m’énerve ! Vous imaginez l’enfer si je ne devais plus m’occuper de moi ?
Qui m’achèterait mes pantoufles, mes jantes en alu et mon Max ?
[Narcisse, 33
ans, vendeur d’accessoires auto]
— Moi, dès que j’ai
un geste un peu tendre ou le regard humide c’est : « Tu ne penses
qu’au sexe ! » Je me demande qui est obsédé ici : elle ou
moi ? Et, petite question annexe, comment il faut que je fasse quand je
pense vraiment à ça ? Que je lui envoie un fax ? Que je
l’appelle d’une chambre à l’autre sur son portable ? Que je mette une
petite annonce sur rendez-vous.be ? Allez, viens près de moi
chouchou, tu sais que tu es bien coiffée ?
[José, 51 ans,
sénateur]
— Vous connaissez
cette blague géniale : comment dit-on, au féminin, « couché dans le
canapé devant la télé » ? On dit : « debout dans la cuisine
à faire la bouffe ». Voilà, vous avez compris, les gonzesses me reprochent
d’être macho ! Comme si elles ne cherchaient pas précisément ça ! Un
vrai mec à l’ancienne, élevé sous la mère en plein champ ! Nourri au bon
maïs bio ! Alors tu te calmes ma poule et tu sers à boire à mon pote, là !
Ah, vous vous connaissez déjà ?!
[Paulo, 36
ans, routier]
— « Tu peux
ranger ta chambre ? Ton assiette ? Tes chaussures de gym ?
Tes notes et tes gribouillis ? Vider l’eau du bain ? Éteindre
derrière toi ? Faire ton lit de temps en temps ? »... Ma mère
me pompe l’air toute la journée avec ça. Dans trois mois c’est mon
anniversaire. Fini les remarques ce jour-là, je me casserai de la maison. À 40
ans ça commencera à bien faire !
[Guillaume, 39
ans 3/4, psychiatre]
— Il paraît que je
suis lâche ! Elle me le répète tout le temps ! Que je m’écrase devant
tout le monde ! Les serveurs du resto, les voisins, les flics, mon patron,
le proprio du camping près de Bouillon où on part en vacances... Même les
enfants ne me respectent pas, soi-disant ! — Elle a pété les plombs ou
quoi ? Je vais lui en coller cinq si elle continue ! — Attention, chuut !
elle revient des courses, je ne vous ai rien dit, hein ! Chuuûût !
[Pedro, 32
ans, culturiste]
— Sa mère. Vous
connaissez sa mère ? Le thon d’un mètre vingt toujours en tablier à
carreaux ? Il paraît que je suis grossier avec elle. Que je la bouscule
sans arrêt. Que je la reprends quand elle se trompe. Que je lui raccroche au
nez. C’est faux. Je ne décroche même pas ! Je vois son numéro sur le petit
cadran lumineux et hop ! — je coupe la sonnerie ! La mère c’est déjà
la tasse, mais quand la fille s’y met, bonjour les boules ! J’aurais dû
épouser sa sœur... Mignonne sa sœur... Non ! Ça ne va pas non plus !
Elle a la même mère !
[Juju, 22 ans,
barman]
— Moi, ce que je ne
supporte pas chez les meufs, c’est qu’elles disent qu’on est pas mature.
Déjà mature, c’est un mot à elles, elles disent ça c’est pour faire
euh... adulte... euh... réfléchi quoi... mature justement ! Elle est mature,
elle, à 18 ans, avec son enfant sur les bras ? Bon. — Si c’est moi, le père ? Mais bien
sûr c’est moi le père, et alors ? Touche pas à ma Suzuki toi — tu
t’écartes maintenant ! Encore des questions ? Non ? Merci.
[Kévin, 23
ans, 3e C]
— Il faut l’entendre
parler de son ex... Il était champion du monde de tout, lui... Le plus beau, le
plus sympa, le plus drôle et le plus généreux ! Toujours des histoires
extraordinaires, des aventures pas possibles, des rencontres incroyables !
Un mélange de Nicolas Hulot, de Ben Affleck et de prix Nobel ! Ma
main dans la gueule, oui ! On se demande ce qu’elle fait avec moi
finalement ! Quand Peter arrive dans la discussion (prononcer Piiiter,
car cet enflé vient de Londres) — quand elle parle de Piiiter j’ai envie
d’appuyer sur mute, puis sur eject, puis sur destroy...
Mais bon, je peux pas...
[Jimmy, 25
ans, musicien, frère de Peter]
— « Tu te
laisses aller ! » — Ce n’est pas une chanson de Charles Aznavour,
c’est le disque qui tourne tous les jours au parloir... Quelle plaie !
Pourtant je n’ai pas de bigoudis, pas de peignoir mal fermé, pas de bas qui
tombent sur les chaussures... Au contraire, pour un mec de 30 ans je
trouve que j’ai fière allure ! Jogging fluo, 98 kilos, casquette Chanel,
chaîne en or — la vraie classe ! J’ai un peu grossi, c’est vrai, mais la
cuisine n’est pas terrible ici... Tu te laisses aller, elle est bonne...
[DJ-Jacques,
bloc B, cellule 20]
— La conversation qui
me tue ? Dès qu’on touche à l’éducation des enfants ! Faut faire ceci,
faut faire cela, faut choisir un sport praticable en hiver, faut pas qu’ils
jouent d’un instrument trop lourd, faut repeindre la chambre, surveiller la
nourriture, les fréquentations, les heures devant la télé, faut leur interdire
les jeux vidéos, la GameCube et le chat en ligne pendant des
heures, faut tenir à l’œil la consommation de téléphone, la ligne toujours
bloquée, les sucreries à l’école, les devoirs, etc., etc. Dur dur quand elle
parle sans arrêt des mômes — surtout quand on n’en a toujours pas !
[Léopold, 61
ans, retraité]
— Moi, ce qui me
troue, c’est quand elle me fait des remarques sur la carrière qu’elle aurait
faite si... Si elle n’avait pas eu d’enfants, si elle avait continué avec les
ballets Popov-Truc, si elle avait eu la santé, si elle avait accepté de
faire des photos comme ça, si elle avait écouté son prof, si elle n’était pas
tombée malade justement le jour où... — mais surtout, surtout, si elle ne
m’avait pas suivi en province ! Alors quand ça commence comme ça, terminé,
je passe le casque par dessus les boules Quiès, je tourne lentement le volume
sur trop, j’étale l’Encyclopédie Britannica sur mes genoux et je
me mets à rêver sur la planche des armes à feu...
[Rudolf, 45
ans, comptable]
— Alors il paraît que
je mens tout le temps ! Je mens sur ce que j’ai fait durant la journée,
sur ce que je sais vraiment, sur ce que je vais faire demain ou dans un an, sur
ce que je pense d’elle, de sa famille ou de ses copines — bref, je mens comme je respire ! Je me
permettrai juste de te signaler, ma chérie, que ce n’est pas moi qui ai
commencé — pas vrai, Riccardo !?
[Sergio, 33
ans, myope]
__________
Retour à la page d’accueil
du site, ici.