Cher Alain,
J’ai
bien reçu ta carte postale. Barouf épouvantable dans la boutique, tout le monde
ne jure plus que par ton foutu paradis ! Bref...
Tu sais que Perec et son
palindrome-record nous taraudent, bien sûr. Je me suis demandé, il y a un mois,
s’il était possible de battre son record de longueur, une fois pour toutes
(5566 lettres). J’ai tourné ça dans ma tête et trouvé la solution suivante qui
permettrait d’évacuer définitivement la question. Il suffit (hem...) de
produire un énoncé palindrome du type :
(1) « L’énoncé suivant : “abc... xyz”,
fait “zyx... cba”, lu à l’envers ».
On pourrait alors remplacer le groupe “abc... xyz” par
n’importe quoi : un roman d’un million de signes par exemple, ou le bottin
de la ville d’Ostende ! Ce million de signes, ou ce bottin,
seraient retournés dans la deuxième partie de la phrase (produisant par là un minestrone peu limpide, un enortsenim plutôt
- mais là n’est pas la question). Dans l’exemple (1) ci-dessus, évidemment, ça
coince, puisque les mots « l’énoncé suivant » ne font pas, lus à
l’envers, « lu à l’envers »,
ni « fait » ne fait-il « fait ».
Mais le principe est là !
La solution suivante est connue depuis
longtemps, mais de peu d’intérêt, car trop artificielle et ampoulée :
(2) « Lue
par la fin, la première moitié de cette phrase - augmentée au préalable du
contenu de l’annuaire des abonnés au service du téléphone de la ville d’Ostende,
intégralement reproduit entre crochets ici [...] – fait : tiaf - [...], ici stehcorc ertne tircsnart tnemelargétni, ednetso’d elliv al ed enohpélét
ud ecivres ua sénnoba sed
eriaunna’l ed unetnoc ud elbalaérp
ua eétnemgua - esarhp ettec ed
éitiom erèimerp al, nif al
rap eul ».
Non, le but est de faire élégant et compact
grâce à un jeu d’instructions lui-même palindrome, tu l’as compris !
J’ai donc commencé à chercher, avec papier,
café, crayon, gomme, cerveau, plus les lexiques divers que tu m’as envoyés - tu connais la tablette qui me sert de bureau, sous
la baie de l’infirmerie.
Les mots « à l’envers »,
« renversé », « inversé » font, à l’envers, respectivement
« srevnela », « esrevner »,
« esrevni ». Le digramme « vn », au cœur de ces inversions, semble condamner
toute tentative de ce genre. J’ouvre alors un petit dictionnaire de synonymes à
« palindrome », y découvre que ce mot est aussi adjectif, et remarque
les formes opposé, contraire, tête-bêche, vice-versa et
réversible, entre autres.
« Opposé », avec son groupe
symétrique oppo,
semble prometteur. Placé au centre, il conduit à travailler sur « esoppose », lequel peut se lire
« ...e s’oppose ». On avance ! Je cherche donc un
palindrome du genre :
(3) « Abc... xyz »
s’oppose en « zyx... cba »
Après plusieurs heures d’horribles
contorsions (tu connais), j’aboutis à:
(4) « Le pihcra nos snad enneuoc al erod es Niala ! » Ses
opposés : « Alain se dore la couenne dans son
archipel ! »
... ce qui semble bien maigre pour l’énergie investie. Avaient
défilé auparavant des constructions du genre :
(5) « A...z » eûmes ; opposé
mué « Z...a »
(6) « La vie mode d’emploi » ;
osâmes opposé maso : « Iolpme’d
edom eiv al »
(7) « A...z », et unîmes
opposé-minute « Z...a »
(8) « Sneivuos
em ej » :
ténèbres ! Opposer benêt : « Je me souviens »
(9) « La disparition » gagnée,
s’oppose en gag « Noi tir apsidal » !
(10) « N a a l
k j i w s j i r n a v n a j » nôtres ; opposer ton « Jan Van Rijswijklaan »
(11) « Mots-croisés » livrés :
opposer vil « Se sior Cstom »...
Bien. Tout ça ne casse pas trois pattes à un canard.
Je laisse reposer jusqu’au lendemain.
*
Retour dans le dictionnaire des synonymes où
j’inverse mentalement tout ce que je lis : « contraire » fait eri art noc dont la fin appelle le mot
« nocturne ». ça ne
conduit nulle part, sauf à l’abomination suivante, hors sujet :
(12) Cette nymphomane sort la
nuit : « En rut, con nocturne ».
« Tête-bêche » n’a pas l’air engageant, il fait pourtant
« eh ! ce bête t... ». Deuxième
soirée de recherche, sur le modèle suivant :
(13) « Eh ! ce bête
texte : « Z...a » donne « A...z »
tête-bêche ! »
Résultat des courses :
(14) « Eh ! ce
bête tri ne va : « Nèpre Wtna » ! Non ! « Antwerpen »
à venir tête-bêche ! »
Ou alors ceci :
(15) « Eh ! ce bête
thème dicté, « A...z » : « Z...a » etc., idem,
eh ! tête-bêche ! »
Bon. Ce n’est pas encore ça... Je découvre,
en passant, une deuxième horreur, n’ayant toujours rien à voir :
(16) « Trois abrutis regardent sous les
jupes d’une gamine : Eh ! ce bête trio va la voir tête-bêche ! »
Et celle-ci aussi :
(17) « Corrida sans queue ni tête (ni
oreilles) : Eh ! ce bête torero tête-bêche ! »
Ou encore:
(18) « Mastic dans le quotidien
populaire : Eh ! ce bête titre serti tête-bêche ! »
No comment... Oublions... Je te passe les
lignes suivantes, qui ne méritent qu’un regard apitoyé :
- avec l’expression « vice-versa » :
(19) « Z...a » a le cas rêvé :
ci-va, vice-versa, cela : « A...z »
(20) « Z...a ». Éli
tu l’as rêvé : ci va, vice-versa, l’utile « A...z »
- avec « réversible » :
(21) Réversible tri basé sur
« A...z » : « Z...a » ! Rusé sabir ! Tel
bis, rêver !
(22) « Z...a » ; tenir tel,
bis, réversible tri net : « A...z »
(23) « Z...a » a régi réel bis.
Réversible érigera « A...z »
Je trouve dans mes brouillons
les notes suivantes :
(24) Oh, va mendier chez le
médium : Eh, tape le
télépathe !
(25) Fume, Jean, c’est du
bon : Zone H, cet Echenoz !
(26) Il faut se renouveler en
art : Et si train-train, ni art ni artiste !
Plus loin, des appréciations
coloniales assez peu correctes :
(27) Rosserions noir
essor ?
(28) Téterions noir état ?
(29) Et... téterions noire
tette ?!
(30) Étêterions noire
tête ?
(31) Égarerions noire
rage ?
Je passe au crible palindrome des mots comme
« énoncé », « message », « texte »,
« œuvre », « écrit », « lettres »...
J’envisage des :
(32) ... Un tel libelle, billet
nu ...
(33) ... Fi, contenu un et
nocif !
(34) ... Léon, écrivez
l’énoncé, sec : « Non-elzévir ce Noël » !
Mais à quoi ressemble un non-elzévir ? Et qui est Noël ?
Ceci encore, passablement obscur: il est
suggéré d’extraire toute la moelle de « Z...a » à l’aide de quelques
outils et d’un peu de génie :
(35) « Z...a » ; fin a contrario !
Va voir (art, nô, canif) « A...z ».
J’essaye d’opposer le rififi (désordre) du texte inversé « Z...a » à l’harmonie
(?) du texte rangé « A...z » ; voyons encore :
(36) « Z...a », régna
rififi : ranger « A...z ».
(37) « Z...a » à
l’égide rififi ; rédige là « A...z ».
(38) « Z...a » à l’étalé rififi,
relate là « A...z ».
(39) « Z...a » et issue rififi,
réussite « A...z » !
ou même, lapidaire :
(40) « Z...a »
régna du danger « A...z ».
Ce n’est pas encore ça, j’essaye de dormir. Malgré la lumière
allumée en permanence, petit soleil de minuit texan.
*
Rien durant la semaine, je récupère.
*
Reprise vendredi - par quelques notes
médicales légères qui permettent de retarder l’échéance :
(41) Régime sec : ni verveine-gin, ni genièvre-vin !
(42) Hypertension : le secret, ôter ce sel !
(43) Silicone : sein à zizanies
(44) Vasectomie : lier appareil
(45) Cailloux : rein, redresser dernier
(46) Gros con : enrobé borné
(47) Sauna : suons-nous ?
C’est nul, mais ça repose. Encore ça :
(48) L’écran aide l’écrit ? Sert, télévision oisive, lettrés ?!
Bof ! Je reviens toujours au groupe oppo :
(49) « Z...a » : Ruse ?
Brevet ? Codes ? Oppose docte verbe sur « A...z »
Puis tombe sur le mot « corpus »,
assez chic, que j’inverse machinalement : « suproc »
- « su proc » - « su procédé »... Il semble qu’il y ait là
quelque chose d’un peu plus consistant.
Je me mets au travail, les heures filent,
comme toujours quand on bosse – et il m’en reste si peu :
(50) « Z...a » su procédé celé,
cède corpus « A...z »
...pas mal du tout ! Et si on fusionnait
deux types d’inversions ? ça pourrait
donner :
(51) Eh ! ce bête tri ne va :
« Ritros ed tnesoporp
es sli tnod ehtnirybal el semêm-xue tnesiurtsnoc iuq star : enneipiluo, neipiluo » !
Su procédé celé, cède corpus :
« Oulipien,
oulipienne : rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se
proposent de sortir» - à
venir tête-bêche !
Alors, enfoncé, GP ? Bon, j’ai
des heures de sommeil en retard, les yeux rouge sang et un drôle de buzzz ! dans la tête. Je crois que je suis atteint d’eibohphobie aiguë
(allergie aux palindromes). Que penses-tu de tout ça ?
Amitiés, Éric A.
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P.-s. J’apprends par le gardien, au moment de
poster, que ce problème a été résolu depuis des lunes en anglais :
« A...z », sides reversed, is « Z...a ».
Ashes to ashes, que je m’en couvre la tête !
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Note du 16 novembre 2009 :
Jacques Perry-Salkow vient de communiquer à la liste Oulipo
sous le titre « Palindrome, Mode d’emploi », l’élégantissime :
« Écarte les opposés, oppose le
tracé. »
Bravo Jacques !
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