01. Alexandrie attend l’arrière-saison.
02. L’égyptologue étrangement enturbanné
03. Clopin-clopant vociféra : « Illuminez ! »
04. Abu-el-Effendi, étendu frondaisons,
05. Insulinodépendance et démangeaisons,
06. S’emberlificotait quatorze destinées.
07. L’égyptologue, observations abandonnées,
08. Particularisa cette péroraison :
09. « Transbahutez Château-Margaux, whisky-soda,
10. Chipolata, revigorante enchilada,
11. Topinambours, rutabagas d’Afghanistan,
12. Tirami-sù chocolaté, scaferlati ! »
13. L’imperturbable illuminé mahométan
14. Stigmatisait d’opoponax
l’assujetti.
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Scaferlati (cigares fins), opoponax
(ou opopanax, plante vivace de la région méditerranéenne).
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Contrainte d’écriture
Ce texte à peine ampoulé est un sonnet. Et ce sonnet doit beaucoup
à Nicolas Graner, lequel fut le premier à réagir à la pristine version des
auteurs. Gilles Esposito-Farèse avait déjà critiqué sévèrement (mais justement)
ladite mouture comme on le verra plus bas. Les auteurs avaient essayé de ne pas
utiliser plus de trois mots par vers :
01. Alexandrie, éblouissante
arrière-saison.
02. L’égyptologue étrangement enturbanné
03. Clopin-clopant
vociféra : « Illuminez ! »
04. Abu-el-Effendi, étendu frondaisons,
05. Insulinodépendance et démangeaisons,
06. S’emberlificotait quatorze destinées.
07. L’égyptologue, pyramides abandonnées,
08. Précipita l’ahurissante
péroraison :
09. « Transbahutez Château-Margaux,
whisky-coca,
10. D’épouvantables chipolatas paprika,
11. Topinambours, rutabagas d’Afghanistan,
12. Tirami-sù chocolaté, scaferlati ! »
13. Quelque psychopathologique mahométan
14. Déséquilibrait d’aristoloches l’apprenti.
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Scaferlati (cigares fins), aristoloches
(plantes grimpantes).
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[Gilles Esposito-Farèse, 18 novembre dernier (soit 2002), par
e-mail] :
> 01. Alexandrie, éblouissante arrière-saison.
Il faut faire une synérèse peu classique sur « bloui » (en une seule syllabe),
ou bien élider le e muet d’« arrière » pour ne pas obtenir 13 syllabes.
La deuxième solution (en écrivant par exemple « arrièr’-saison) est meilleure
d’un point de vue rythmique, car tu obtiens un alexandrin romantique césuré
4/4/4.
Les synérèses après occlusive (b) + liquide (l) ne sont de toute façon pas
autorisées.
> 02. L’égyptologue étrangement enturbanné
4/4/4 impec’.
> 03. Clopin-clopant vociféra : « Illuminez
! »
4/4/4 impec’.
> 04. Abu-el-Effendi, étendu frondaisons,
6/6 parfait. Mais un puriste malherbien pourrait critiquer l’hiatus «
-di é- » à la césure. En principe, les sons vocaliques n’ont en effet le droit
de se suivre que s’ils ont un e caduc intermédiaire, comme dans « la piE aurait
». Je trouve personnellement cette règle idiote, car des choses comme « sa
penséE est… » ou « en IbériE il… » sonnent beaucoup moins bien tout en étant
autorisées !
> 05. Insulinodépendance et démangeaisons,
4+4/4 OK.
> 06. S’emberlificotait quatorze destinées.
6/6 OK.
> 07. L’égyptologue, pyramides abandonnées,
13 syllabes sauf si l’on élide l’un des e muets en le remplaçant par une
apostrophe. Une solution serait aussi de mettre la pyramide au singulier. Ça
resterait toutefois un dodécasyllabe plus qu’un alexandrin, car il ne serait
césuré ni 6/6 ni 4/4/4.
> 08. Précipita l’étonnante harengaison
:
4/4/4 OK puisque le h est aspiré, mais le e caduc d’« étonnante » arrivant sur
une syllabe accentuée (avant césure) n’est pas classique.
> 09. « Transbahutez Château-Margaux,
whisky-coca,
4/4/4 ou 6/6 impec’.
> 10. D’épouvantables chipolatas paprika,
Dodécasyllabe impeccable, mais pas césuré de façon classique.
> 11. Topinambours, rutabagas
d’Afghanistan,
4/4/4 OK.
> 12. Tirami-sù chocolaté, scaferlati ! »
4/4/4 OK.
> 13. Quelque psychopathologique mahométan
13 syllabes à moins d’élider le e final du mot central (avec une apostrophe).
Le vers devient alors un bon alexandrin césuré 4/4/4 ou 6/6.
> 14. Déséquilibrait d’aristoloches
l’apprenti.
13 syllabes encore, à moins d’élider (avec une apostrophe) le e final d’«
aristoloches ». Dans ce cas, ça deviendrait un dodécasyllabe sans césure
classique.
À part ça, si tu veux que je continue à chipoter avec les règles malherbiennes,
tu n’as en principe pas le droit de faire rimer des singuliers avec des
pluriels dans tes quatrains (par ex. saison/frondaisonS), et encore moins de
mélanger rimes féminines et masculines (par ex. enturbanné/destinéEs).
L’alternance des rimes n’est d’ailleurs pas respectée. [En revanche, tu as
choisi l’un des schémas de rimes les plus classiques abba/abba/ccd/ede, et je
t’en félicite :-).]
Tout ça pour te dire que pondre un sonnet « classique » tout en respectant des
contraintes dures est monstrueusement difficile, et que le lectorat ne s’en
rend en général pas compte (car soit il aime les jeux de mots et ne connaît pas
grand chose au classicisme, soit c’est le contraire ;-). Bref, garde ton sonnet
tel qu’il est, en précisant en note --si tu y tiens-- que quelques élisions
modernes de e caducs sont recommandées pour obtenir le bon rythme. Inutile de
te casser la tête à trouver d’autres mots : tu as joliment illustré le concept,
et c’est tout ce que tes lecteurs demandent ! :-)
Gilles.
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[Note des auteurs, publiée sur le site 3 jours plus tard] :
Finalement, seul le vers 08 fut changé, l’édifice étant
manifestement impossible à sauver (les auteurs s’étaient emmêlé les pinceaux en
confondant « harangue » et « harengaison »)… Si l’un
des lecteurs de cette page pouvait nous proposer mieux (donc un sonnet
« classique » composé d’un nombre minimum de mots), nous
l’afficherions immédiatement à la place du nôtre !
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[Note des auteurs, un mois plus tard — ils n’y reviendront
plus !] :
Ce lecteur, vous l’avez compris, n’est autre que Nicolas Graner,
merci encore à lui !
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