Achat
de services bip
Elle a de gros yeux de poisson doux, la tête
penchée en avant mais fière de la nuque, un cavalier aux échecs, sourire et
filet bleu qui montent au plafond. Les bip vont par deux dans l’hôtel, et son amie à elle, ce soir,
est rouge Alfa, presque métallique, de cheveu. Tout est difficile ici, comme se
faire une couleur qui tienne, ou un trou à l’Hilton. Notre homme flotte d’un
pied sur l’autre et donne du feu à la rutilante, mais c’est miss thyroïde et
son gloss qu’il suit du cil. Au fond de la pièce gronde un chemin de fer. Des
taches blanches, blazers tombés, beuglent en platt-deutsch ou en slavon, puis
chuchotent d’étranges saillies au personnel strict. La
bip qu’il regarde a souri encore un what is your name sans écraser pour
autant l’ultra-légère à bout d’or.
Il y a du tapis sur les murs, des caissons,
des boiseries passe-partout, le cuivre verni du bar, une chaudière italienne à
café mat, un pingouin noir à nœud noir qui huile son zinc du coude. What is my name, notre homme, 37 ans,
s’exécute et sourit, un rien de gêne, à la femme-hippocampe (donner un pseudo ?
l’idée lui en est venue mais ses amis l’auraient moqué).
Tout est lourd à minuit, on étouffe dans les corridors
aux moquettes à motifs, et voici qu’il enchâsse la clef perforée, on dirait du
braille, merde à qui lira, dans la fente en plastique. La porte clique et ne
bronche. Une grosse sueur le prend en traître juste derrière les oreilles, et
zut si on nous voyait. La bip aux longues jambes sous sa jupe de cuir courte, au torse un peu
bref peut-être, ne fume plus. Notre homme s’escrime et rebelote la combinaison,
mais rien. Un thon titube au détour d’un lift, glousse et se prend la table
basse dans le gras du fémur, le voilà qui roule hors-champ et du disque du
monde. La bip
a remonté sur l’épaule une chaînette de son sac et dit give it to me, I’ll do. Notre homme aura toujours l’air à côté,
même en Boss. Son hippocampe magyare exhale l’acidulé Gio reçu en free-tax d’un client du matin. Ça le met
en rut à moitié, tiens, comme protubère encore la glotte de la fille.
Et la rousse fendue au fourreau vert, elle
fait quoi ? Toujours au casino-club du gratte-ciel panoramique ? Cellulaire,
Ventoline et Boule-dogue, soit ses copains en mission comme lui (m’achète mes
ampoules au xénon ? me loue le transpondeur ? me prends le génie civil
pour passer sous le Danube ?), tournent autour de la belle et de ses mèches en
feu. Va, ramasse tes trois cents marks et rejoins notre pal qu’a bien bossé, sois chou avec lui au six eleven (611), c’est sa chambre, give him what he wants, you are a bip aren’t you ? Et la bip de son
état glisse, lionne au tabouret d’acajou, sur ses talons raides comme des pics
à glace.
Notre homme va franchir la rivière, ou pas,
le Rubicon, le Styx, le fleuve des enfers, il ne sait encore et s’étonne de ces
deux sauterelles désormais chez lui. Il est bip comme un ver sur le sofa cru de la suite. La
jeune sinople et gueules a bondi sur le fil et téléphone en valaque à l’autre
bout de l’empire — assez enjouée la crevette, me semble ! La deuxième gamine,
l’élue de son cœur, sa chérie crocheteuse d’huis prend un bain brûlant l’œil
dans l’embrasure. Elle aime l’eau, c’est sûr et ses gros poumons roses trouent
la géodésie délicate des films de savon.
C’est exactement l’image que vient de stocker
Tomas. Il lui a donné un nom peu sexy à base de dates et de troncations
alphanumériques, c’est comme ça, c’est écrit dans le manuel. Tomas est maigre à
faire peur, il a toujours faim, mais on ne trouve rien à manger chez nous, ou
de qualité piètre ; il copiera plus tard ses photogrammes sur un autre disque,
bien que ce soit interdit, à des kilomètres de là. Quand les lèvres gonflées de
l’hippocampe ont serré tel un stuc le bip
de notre homme, Tomas d’un coup de souris a immortalisé la scène. Si nul n’est
flou ça fera des fonds.
Cellulaire se pèle un jonc costaud avec Truc
et Machin qui le suivent partout comme oie son Lorenz. Je dois lourder ces deux
glus, ça commence à faire ! On perd ce qu’on veut sur le grill à numéros,
d’autant que les dames en vadrouille sont rares : pas de comtesse lisboète, nib
d’assistante au planning opérationnel, rien d’insomniaque blond qui vous hache
au laser dans les vapeurs de vin. Je vais me coucher lance-t-il au-dessus d’une
pile de jetons bleus. Le pan de sa veste a effleuré le cheval en équilibre sur
les cases 20/21. Du holster s’est extrait un drriiing portatif, qu’il
pianote à coups de bec nerveux : Tomas je pars, I’m leaving now, yes, to the six
zero nine (609), ça va pour toi ? Les deux glus s’apprêtent à le suivre, ah
non, surtout pas, vous restez ici bande de bip.
Le dernier vol du jour s’est posé en retard,
rapport aux flots d’eau. Ça leur met à tous, équipage ou pas, l’arrivée à la
réception vers une heure du matin. Depuis le temps le commandant n’embrasse
plus les hôtesses, il connaît à peine celles-ci, chair à hélices sans diplôme
ni Sécu, matricules à rotors, à propfans et turbines qui dormiront par trois
dans l’annexe incommode. Il signe sa fiche vite et grimpe à sa chambre. Mieux
que les médocs, l’héro-base ou les armes, il passe des visas frappés du sceau
de l’ambassade : les toutous de la douane ne sniffent pas le faux-papier !
L’enfançon du six cent douze (612) s’est mis
à pleurer. Sa mère le tartine de talc italien : les boutons de varicelle
explosent vraiment cette nuit et le petit n’en peut plus. Son cri a vrillé deux
portes et la largeur d’un couloir. Notre homme a tourné la tête, songé à sa
fille Clara, à son fils de neuf ans, à sa femme un peu rude. Ceci n’est pas un
rapport bip, s’entend-il réfléchir,
je n’ai même pas bip dans ma
fumeuse, elle m’a bip le caoutchouc,
c’est tout. Quant à la fauve carminée, vautrée le bip à l’air, je ne sais même pas ce qu’elle fabrique avec la
télécommande.
Voici les bruits qui font la colonne sonore :
-
la télévision : un programme allemand par satellite oppose en public un homme
dégarni à ce qui semble être son ex ; ce dernier – car c’est un homme, lui aussi
- brandit le poing ; le dégarni a l’œil tuméfié, l’ex une balafre comme un
guillemet ouvrant ; un tribunal fantaisie rend son verdict ; schproum
indescriptible ;
-
la radio : un canal Classical Music
- Strings Only, débite l’hiver de Vivaldi rehaussé d’une ligne de basse,
d’un clavier rond et de quelques trompettes mexicaines ;
-
le bain : il coule bis à gros bouillons pour la bip de rang deux, laquelle mâchouille
debout une poche blasonnée for the
bath ; des mules
surgies de nulle part lui cambrent les reins et le bout des bip qu’elle a bruns et durs comme
manettes de scooter ; ça claque sec sur le marbre des salles d’eau ;
-
la clim : trois oriflammes de plastique filoche chuintent et s’entrechoquent au
plafond sous les remugles tièdes d’un ventilateur poussif ;
-
les acariens : cuirassés par paquets de mille, hérissés d’antennes et de
poils, ils copulent et bombinent dans des lacs d’humeurs humaines âgés de
quoi : dix, vingt, trente heures ?
Emmi le crâne de notre homme c’est pareil,
carillon et grandes orgues. Son obscur cumulus des jours sans lui bat les tempes et le moral : qu’est-ce que je fous là avec
ces starlettes ? L’enfant aux vésicules s’est tu. Le troisième fichier de Tomas
fait 480Koctets, malgré la basse résolution : la faute au grand angle ?
Ventoline a remarqué l’Asiate au guichet
qu’on vient d’éconduire. Ses cartes de crédit ont d’abord brillé sous un tube
violet. Puis un câble de cuivre bien réel en perfusion sur maint robot distant
lui a délivré le niet : pas de
liquide, pas de réserve autorisée, plusieurs planchers crevés. Le costume
massif a dodeliné, mis un pied devant l’autre et regagné le sixième.
L’ascenseur est un cube effroyablement lourd.
Son sol est de schiste, comme ses parois polies. Le plafond dégringole en
douche compacte ses quinze cents lux nucléaires. On choisit l’étage d’un doigt
léger, effleurement vitrocéramique, et le vaisseau s’émeut. Des pictogrammes
pour demeurés indiquent la sortie, les trois restaurants, les tables de jeu, la
fitness-room. Mais l’Asiate titube
déjà vers son lit. Il extirpe du Smalto un Nokia cabossé, sonne la réception,
ordonne une bip
crûment et là, tout de suite, et bonne, et qui ferme sa gueule surtout. Il
rangera à peine son engin qu’on frappera. Des effluves de Gio se mêleront à sa
sueur.
Notre homme est désormais seul avec la rousse
vif. L’autre est partie, sifflée comme un chien par un
tamagochi vengeur. Il ne bouge pas, crucifié sur le lit king size en son appareil simple. Au ciel d’un des murs se hâte une
fourmi rouge. Son écarlate à lui, absente, mordille le latex translucide et
humecte, griffe un peu le polymère, salive encore. Elle s’interrompt parfois
pour laper le mini-bar, tête en arrière et sillons luisants. Ses doigts en
anneau, d’ordinaire si subtils, en oublieraient même l’objet de la transaction.
Quiz :
Comment une bip, et où, dispose-t-elle son
linge ?
Il y a près des tulles une chaise Mackintosh.
Les chaussures aux talons destructeurs y forment un double tremplin parfait. Le
fourreau vert sur son cintre se mire dans la psyché, mais en évitant l’axe
caméra car la guêpe n’est pas folle ! Dans l’armoire du vestiaire, Dim et
sous-vêtements sont pliés avec soin, rangés comme au collège ses affaires de
piscine. Le sac en galuchat reste invisible, peur qu’on le lui vole ? Chaque
article a son histoire, fut l’occasion d’un marchandage, de comparatifs précis,
évoque à sa propriétaire une boutique, une vendeuse ou un vu à la télé. Une
bourgeoise de plus, songe notre homme, je parie que sa bombe lacrymo n’est pas loin.
Le pilote malhonnête s’est changé. Demain
dolce vita, relever les compteurs puis taxi jusqu’aux Bains. Il sort et bute
sur le groom en lévitation qui poussait par là un chariot platine. L’ogre
asiate du six cent sept (607) avait envie de nems, de 20, de 42, de 146 sauce 9 : il ouvre justement sa porte, cireux, et
l’hippocampe en sangsue se serre contre son flanc. On est à quatre tout de go sur un centiare de moquette à motifs : qui a dit
le premier qu’il y avait une drôle d’odeur ? Qui a vu débouler la fumée ?
Tout le monde est bip, bien sûr, sauf le petit pustuleux.
Notre homme n’aura même pas eu le temps de bip.
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