[Bestiaire
ébloui des lexies tératoïdes]
Chapitre
54
Asphyxies et
aérations
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Asphyxier un texte, selon Luc Étienne
(in Oulipo, Atlas de
littérature potentielle - Folio essais n°109), c’est lui ôter l’r
(l’air). Cette
asphyxie, selon lui, doit se faire à l’oreille : le mot prêcher,
asphyxié, fera pêcher (l’arbre), et non
pêche (le fruit).
« Faites l’amour, pas la guerre donnera », donnera, après
asphyxie : « Faites la moue, pas la gaie ». Luc Étienne évoque
aussi « le parler des Martiniquais et des Incoyables ». Un coup d’œil
dans l’Encyclopédie Universalis, article « Mode », nous
précise que :
« Au lendemain de la mort de
Robespierre, les Muscadins semblent proclamer par leur tenue la restauration de
la monarchie. Ils adoptent le port d’une redingote vert bouteille ou noire
(couleur de royauté ou de deuil), de la culotte à la française, et poudrent
leurs longs cheveux qu’ils tressent. Sous le Directoire, toute la jeunesse
aisée emboîte le pas. Les inc’oyables et les me’veilleuses, qui modifient la
prononciation des consonnes en escamotant les r, et reconnaissant comme seul
mot de passe dix-sept (par allusion à Louis XVII), multiplient les signes de
reconnaissance particuliers [...] ».
La lettre r serait donc
plébéienne... tant mieux !
Quels sont les mots français que l’on peut
asphyxier graphiquement (et non plus à l’oreille) ? Le plus chargé semble être rembourrer,
que l’on peut dépouiller de quatre r : il reste alors emboue,
présent du verbe embouer, couvrir de boue, étouffer un feu de mine (O.D.S. 3).
En ôtant trois r on trouve,
parmi d’autres :
armurier (lequel fait amuïe - on ne tient pas compte des accents,
trémas et autres cédilles – s’amuïr c’est devenir muet, ne plus se
prononcer), arrimer (faisant aime),
chartrier (préposé à la
garde des chartes - châtie), ferrure (feue), parterre (pâtée),
pourprer (poupe),
repérer (épée)...
En ôtant deux r :
attendrirez (attendiez), braiser (baise), braver (bave), dorure (doué), martre
(mate),
meurtre (meute), mordre
(mode),
oreillarde (œillade),
prostré (posté),
prunier (punie),
prurits (puits),
secourrait (secouait), sevrer
(sève),
sourdre (soude),
surarmés (suâmes), tartre
(tâte),
trièdre (tiède),
troupier (toupie)...
En ôtant un r :
argile, baril, braquet, brandit, chars,
cireux, crêpage, croquet, frelon, lutrin, marin, mortel, narval, thermes...
Luc Étienne appelle aération
l’opération inverse qui consiste à donner de l’r à un texte. Aérer la
« haie au Benoît » produira une « raie au beurre
noir » des plus appétissantes. Peut-on jouer avec cette idée ?
Oui, l’aération permet de jongler de façon
inédite avec certaines listes. Car il est beaucoup plus difficile d’aérer un mot
que de l’asphyxier. Ainsi vous est-il proposé, en guise d’exercice (réponse au chapitre suivant),
d’ajouter 33 r à chacune des trois séries ci-dessous (n’oubliez pas de faire abstraction des
accents, trémas, cédilles et ligatures : suçoté, une fois aéré,
fera surcoter).
Liste 1, facile.
Aérer en répartissant 33 r
sur les 17 mots suivants :
aimant, avion, bai, bille, caste, chance,
coït, dague, décente, écueil, empoté, hume, patient, pope, taie, tee, vite.
Liste 2, difficulté moyenne.
Répartir encore 33 r
sur :
baille, béton, bosse, chôme, cible, déçue,
déniée, épiée, épient, foie, nouions, phase, piété, pieu, piques, ténia,
veniez.
Liste 3, difficile.
Ajouter 33 r toujours :
accus, aide, baie, basse, contaient,
décade, épations, étanche, fée, figue, idéaux, impôts, infime, meute, plate,
tige, veste.
Luc Étienne termine
en suggérant : « Au lieu de priver un texte d’r on peut lui
rogner les l, et, d’une façon générale, jouer à ces jeux en choisissant
la lettre qu’on voudra ».
Passons donc en revue le reste de
l’alphabet. Le mot asphyxie ne convenant que pour l’r, il a fallu
tordre quelque peu lexique et syntaxe pour qualifier les 25 autres opérations.
Ôter les a d’un texte, par exemple, ce sera l’araser (a rasés)...
[A] Mots arasés (a rasés) :
abaissera (fait bisser), agrainage (donner du grain au gibier ou aux oiseaux -
fait gringe, grincheux en Suisse), apaisa (pis), apaisâtes (pistes),
acétate (cette), aléas
(les), asiate
(site),
comparais (compris),
lainage (linge), palais
(plis)...
[B] Mots désherbés (désert b) :
bobbies (oies), bambocher (amocher), bible
(île),
babines (aînés), babil
(ail)...
[C] Mots passés (pas c) :
circoncise (ironise), succinct (suint),
succinctement (suintement),
accorte (aorte),
accident (aident),
carence (arène), cornac
(orna),
crécelle (réelle),
vaccine (vaine)...
[D] Mots découpés (d coupés) :
darde (are), demande (émane),
démodule (émoule), dévider
(évier), dodu (ou), quart-de-rond (quarteron)...
[E] Mots retranchés (retranche e) :
écœurée (cour), épeurée (pur), épicée
(pic),
ébarbeuse (barbus),
égéries (gris),
meunière (munir), peinée
(pin),
sécheuses (schuss)...
[F] Mot effrayés (f rayés) :
franc-fief (droit que devait payer au roi un roturier qui acquérait un fief –
fait rancie), affidés (aidés),
affilier (ailier),
bluffés (blues),
bouffée (bouée),
déchiffré (déchiré),
diffamant (diamant), fifre
(ire),
skiff...
[G] Mot aménagés (amen à g) :
joggings (joins), gagmen (amen), gagne
(âne), gigota
(iota), grugé
(rue),
suggéra (suera)...
[H] Mots acheminés (h minés) :
chahutions (cautions), chochotte (cocotte),
chouchou (coucou), hache
(ace), amish,
aphte, auteur, bush, crochus, déhaler, écorché, éthique, graphe, trahit,
vahiné...
[I] Mots irradiés (i radiés) :
biaisai (basa), déifierai (défera),
idiotie (dote),
imaginiez (magnez),
réifierai (refera),
aigries (agrès),
aviaire (avare),
caissier (casser),
châtiions (chatons),
chianti (chant), idiome
(dôme),
italique (talque),
laïcité (lacté), mairie
(mare),
péripétie (perpète),
saillie (salle)...
[J] mots débauchés (hors j) :
ajout, bordj (fortification arabe),
enjoué, jambages, jappât, jarret, parjure...
[K] Mots pimentés record (pas pris k) :
kaki (ai), kanak (ana - recueil d’aphorismes), kriek
(bière belge faisant rie)...
[L] Mots élus (l eut) :
chlorelle (algue faisant chorée, maladie nerveuse),
filleule (fieu),
flanelle (fanée),
labelle (partie de la
fleur d’orchidée faisant abée, ouverture par laquelle tombe l’eau sur la
roue d’un moulin), lentillons (variété
de lentille faisant entions), planelle (carreau de carrelage suisse faisant panée),
blabla, colleur, coupelle, étriller, floral (fora), lobélie (obéie),
portillon...
[M] Mots émaciés (m à
scier) :
magmatisme (agatisé - poli comme l’agate), mammies (aies), mammy (aÿ),
campement (capéent),
commute (coûte), émûmes
(eues),
magnums (agnus),
maigrîmes (aigries),
maximal (axial), modem,
momie, pommelé, promîmes (proies),
vomîmes (voies)...
[N] Mots pacifiés (sans n) :
gnangnan (gaga), bénigne (beige),
bonbon, cancanons (cacaos),
connut, entente (étête),
inondant (iodât),
lancent (lacet),
linnéen (liée),
manchon (macho),
non-sens (osés),
ontarien (otarie),
régnante (régate),
tannins (tais),
tannons (taos)...
[O] Mots asséchés (sans o) :
houons (Huns), jouions (juins),
mouroir (mûrir), obole
(blé),
oserions (serins), ovoïde
(vide), polio
(pli),
pouffions (puffins), toutou
(tutu)...
[P] Mots peignés (p niés) :
apporte, apprête, grappin, houppe, huppé,
palpe (ale), pampas
(amas),
paperasse (aérasse),
papille (aillé),
papillons (aillons),
peptique (étique),
pompette (omette),
princeps (rincés)...
[Q] Mots culbutés (q ? – le buter !) :
acquîtes (acuités), cloque, coquille, moquette, squames (suâmes), troquer...
[R] Mots aérés (cf. liste en haut de la page) :
rembourrer, armurier, chartrier, etc.
[S] Mots essoufflés (s soufflés) :
assisses (subjonctif d’asseoir faisant aïe),
grossisses (groie, sol caillouteux),
rassisses (raie),
roussisses (rouie, traitée pour isoler les fibres),
bassins, châssis, désistés (déité),
psalmistes (palmite, moelle du palmier),
retinsses (rétine),
sagesse (âgée), schuss
(chu),
stetsons (téton)...
[T] Mots arrêtés (arrêt t) :
attitrait (airai - airer c’est nicher), attristait (arisai - ariser c’est réduire la
voilure), tachettent (achéen – de l’Achaïe, Grèce ancienne),
battront (baron), comtat
(coma),
dentitions (déniions),
martinet (marine),
patient (païen), otite
(oie), retint
(rein), stout
(sou),
surtitrât (surira),
tagette (âgée),
tantale (oiseau, métal
dur, et seul élément chimique dont le numéro atomique soit égal à la somme du
rang des lettres qui le composent : 73), tertre (tête), textile (exilé), trente (rêne),
trustât (rusa)...
[U] Mots suspendus (suspend u) :
accourûtes (accortes), aucune (acné),
augures (agrès),
boubou, causeur (caser),
couture (cotre),
dégueuler (dégeler),
enclouure (enclore),
enrouleur (enrôler), fourguer
(forger),
hauteur (hâter),
langueur (langer),
mourûtes (mortes),
suturâtes (strates),
suturiez (striez), usuel
(sel),
youyou...
[V] Mots verrouillés (v rouillés) :
avive (aïe), survive (surie), valve
(ale), verve
(ère), veuve
(eue), vivons
(ions), vivota
(iota), vivre
(ire)...
[W] Mots ampoulés (100 W) :
kwas, pawnee (panée), pilaw, wallons, won, wus...
[X] Mots ixés :
bateaux-feux, annexe, axerons, auxdits
(audits), axis, boxas, excréter, expier, explorer, extatique, faxons, ixode,
jouxte, luxe, marxiste, mixte, sexisme (séisme), sixte, taxon, vertex...
[Y] Mots interdits (y va pas) :
bye-bye (bébé), canyon, chambray, colley, martyre, payons...
[Z] Mots défavorisés (sans z) :
razziez (raie), gaziez (gaie), lazzis
(lais), zanzis
(anis), zestez
(este)...
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