[Bestiaire
ébloui des lexies tératoïdes]
Chapitre
41
Anagrammes
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Une
des premières difficultés de l’anagramme, c’est son genre. Dites :
« Ah ! les belles anagrammes inédites que
voici ! » Ne dites pas : « Anne a gram
positif ! » que ne comprendraient que
quelques blouses blanches... (Ce jeu de mots est nul, les auteurs vous
prient de les excuser).
L’autre
écueil c’est la dépendance : mettre le doigt dans l’anagramme c’est se
condamner aux travaux lexicaux forcés. C’est tripler sa consommation de papier,
gomme et crayon, c’est se livrer aux joies interminables du dépouillement
informatique : listes sans fin, quête asymptotique d’un Graal
toujours enfui, ésotérisme envahissant. Les mordus anglo-saxons bardent
pourtant leurs sites Internet de cette fière devise : anagrams,
ars magna !
Nous
savons désormais que gymnaste est frère de syntagme, comme Arsène
Lupin le fut de Paul Sernine ou de Luis Perenna ; nous n’ignorons plus rien de Salvador Dali
et d’Avida Dollars, de Boris Vian et de Bison Ravi,
de François Rabelais et d’Alcofribas Nasier. Mais sait-on que Georges Perec composa un
poème de 400 vers qui ne sont qu’anagrammes mises bout à bout du même tirage
ESARTINULOC (« Ulcérations », Bibliothèque oulipienne,
n°1) ? Le même Perec qui suggéra qu’Henri Beyle choisit Stendhal en
hommage aux îles Shetland...
On
citera aussi les magnifiques poèmes d’Unica
Zürn réédités en version juxta allemand-français
par la revue Transition il y a une vingtaine d’années ; le titre, Anagrammes
en annonce la (sombre) couleur.
Quels sont les mots-record en
rapport avec l’anagramme ? Les plus longs semblent être imperméabiliseraient
qui donne ce pétard un peu mouillé qu’est réimperméabilisaient, et départementalisèrent
(qui fait interdépartementales) — 20 lettres quand même...
Le mot qui présente le plus
d’anagrammes semble être arétins (de la ville d’Arezzo) lequel
produit les 20 mélanges suivants :
arétins
arisent
entrais
inertas
insérât
ratines
rentais
résinât
retsina
riantes
satiner
sentira
sériant
serinât
taniser
tarines
tarsien
traînes
transie
tsarine
(ariser : diminuer la surface d’une voile ; résiner,
enduire de résine ; inerter,
enrober des déchets toxiques ; taniser, ajouter du tanin ; tarine, race
bovine).
Émirats n’est
pas mal non plus ; il engendre la série suivante :
émirats
maîtres
mariste
méritas
métrais
mirâtes
miteras
remisât
rimâtes
tamiers
tamiser
tarîmes
tirâmes
triâmes
(un mariste
est sociétaire de Marie, le tamier une plante vivace à baie rouge).
Coder un texte par des anagrammes
est intéressant : comprendrez-vous l’ordre suivant, passé en cuisine ?
Papoter nue qualité, nue mondiale
sauve, barbare te fora né tuf, zone lœss ficheras, nu aveu trucidé, peloteur te
devine, mulot prévois pliés, capotai té les, hélices, speech, proie te voyage,
face amok taxer !
Difficile à interpréter... sauf si
l’on sait que tous les mots du message doivent être remplacés par leur unique
anagramme (ils ont été choisis, bien sûr, pour cette bi-univocité même) :
Apporte une tequila, une limonade
suave, Barbera et faro en fût, onze soles fraîches, un veau crudité, pleurote
et endive, moult poivres pilés, tapioca et sel, lichees,
pêches, poire et goyave, café moka extra !
Il y a aussi les anagrammes à
l’oreille, faciles à détecter à présent grâce au module phonétique du Robert
électronique.
Voici quelques villes connues –
après traitement contrapétique (car c’est bien
de cela qu’il s’agit finalement) :
Aix –
caisse – sec
Albi –
habile
Alençon – enlaçons
Alger – égal
– légat
Angers – géant
Annecy – anis
– sanie (pus)
Antibes –
bitant
Arles – lard
– râle
Aurillac –
haricot
Auxerre –
erseau – essor – essore – rossait – saurait
Belfort –
Flaubert
Beyrouth – bourette (tissu) –
brouette – broutait
Brive – vibre
Bruxelles –
blessure
Cahors –
accord – accore – accort – accro – accroc – carreau – kora (instrument à corde)
Calais –
laquais
Chalons – lâchons
Chaumont – chômons
Colmar –
chlorâmes
Corte –
crotté – troquer
Dinan –
andine
Douai – oued
Épinal –
alépine (tissu) – lapiner
– pinéale (glande)
Évreux – œuvrer – véreux
Grasse – garce
La Haye – allez
– héla
Lausanne –
zonale
Le Havre –
laveur – valeur
Le Mans –
meulant
Le Puy – lippu
– pluie
Mâcon –
camons – maquons
Metz – sème
– seime (maladie du sabot du cheval)
Milan –
limant
Morlaix –
molaire – Rommel
Naples – plane
Nevers –
nerveux
Nîmes – hymne
– mine
Orléans – enrôler
Paris –
appris – apyre (réfractaire au feu) –
harpie – ripa
Pau –
hop !
Rennes – nerf
Roanne – orna
– Arnaud
Romans –
Morand
Rome – orme
– mort
Roubaix –
bourrais
Saint-Lô – solin
Sedan – danse
– dense
Sète – est –
este
Séville – vessie
– visser
Tarbes –
battre – trabe (hampe de drapeau)
Téhéran – enterrer
Thonon – notons
Tours – outre
– route – trou
Tulle – lut (enduit) – luth – lutte
Tunis –
sunnite
Turin –
intrus
Venise –
vineuse
...
Pour terminer voici quatre mots remarquables :
ils sont doubles, comme leur anagramme :
dare-dare, déradera
(sortir d’une rade), testes et tsé-tsé.
Direz-vous de ce bestiaire ébloui
qu’il est lubie ratiboisée ou bisaïeule ribote ?
Trouverez-vous ce qui se cache derrière rond, set, dus et soute ?
Un dernier exercice, à effectuer sans ordinateur : comment faire un seul
mot avec les lettres de moulus net ?
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Solutions dans le chapitre suivant, ici.
Retour à la page d’accueil, là.
Un générateur d’anagrammes
françaises ? Clic ! Merci Stéphane !
Un autre (en italien) ? Presto !
Un troisième (en anglais) ? Quick !
Un quatrième qui ajoute à l’anglais l’espagnol
et le norvégien ?
Un cinquième, en allemand ?
Un dernier,
multilingue ? (dont le latin et le néerlandais)
Un vérificateur
d’anagrammes ? (Séparer les deux énoncés
anagrammes l’un de l’autre par le signe < = >) :
ici.
Un autre, très simple d’emploi,
avec rapport d’erreurs : là.
« Anagramme »,
par Unica Zürn
(en allemand), hier !
Un site (en
anglais) richissime ? Here !
[Ce site abrite
la plus longue anagramme jamais écrite, semble-t-il : un texte de Jonathan
Gearhard (18870 lettres !) réorganisant un
extrait original de La Chasse au Snark de Lewis
Carroll.]
La FAQ (en anglais) du
groupe alt.anagrams est intéressante à lire.