[Bestiaire
ébloui des lexies tératoïdes]
Chapitre 22
E, É et È :
événement
__________
Cela
commence par des remarques anodines, mais bientôt il faut se rendre à
l’évidence : il y a plein de « E » dans «
(Perec,
Voici le moment d’étudier les sons
qu’on associe souvent à la lettre e. Commençons par le e moyen,
ni aigu ni grave, le plus rare de tous. On l’entend par exemple en ce
faisan. Voici 10 transcriptions de ce e moyen :
a dans BREAKFAST
ai dans FAISAN
e dans CE
eh dans REHAUSSER
es dans DÉCOMBRES
ew dans REWRITER (ce digramme est prononcé i parfois)
i dans DAZIBAO
on dans MONSIEUR
ue dans QUE
ues dans QUELQUES
Voilà pour le son e
(moyen), relativement rare donc : ne sont attestées que 10 graphies (et encore,
les deux dernières sont franchement limite...). On trouve beaucoup plus de
[EUX], [HÉ !] ou [È] que de e moyens (prononcer à voix haute la
succession CE, CEUX, SŒUR, CES, SAIT pour apprécier les nuances sonores).
Pour le son [é] en revanche, nous
avons relevé 67 graphies différentes (parfois tirées par les cheveux, c’est vrai).
Voici par quoi est transcrit parfois ce son :
Par a dans TEENAGER
ä dans SPÄTZLE (pâtes)
æ dans NÆVUS
ae dans REGGAE
aes dans REGGAES
ai dans J’AI
aî dans GAÎTÉ
aie dans GAIETÉ
aient dans AIENT
ait dans SAIT
ay dans PAYER
e dans SENIOR
é dans PRÉ
ê dans EURÊKA
è dans ÈCHER (munir l’hameçon
d’une amorce)
ë dans BRONTË (les sœurs)
ed dans PIED
eds dans TRÉPIEDS
ee dans PEDIGREE
ée dans FÉE
éent dans CRÉENT
ees dans TOFFEES (chocolats)
ées dans FÉES
eez dans BEEZ (célèbre viaduc wallon)
ef dans CLEF
efs dans CONTRECLEFS
eh dans NARGILEH (pipe)
éh dans APPRÉHENDER
ehe dans YOHIMBEHE (arbre)
ehes dans YOHIMBEHES
ehs dans KEFFIEHS (coiffes bédouines)
ei dans FREINER
elz dans PERUWELZ (bourgade wallonne)
ept dans SEPTMONCEL (fromage imitant le roquefort)
er dans DANGER
ers dans SOUPERS
es dans CANZONES
ês dans KORÊS
ès dans x-LÈS-y (noms de
villes)
és dans CALMÉS
et dans ET
ets dans EYALETS
ey dans BEYLICAT
ez dans NEZ
hae dans HAEMATOXYLON (arbre)
hai dans DÉLABYRINTHAI
hay dans JALHAY (bourgade wallonne)
he dans HELLÉNISTE
hé dans HÉBÉTÉ
hée dans ATHÉE
hées dans ATHÉES
hei dans HEIDUQUE (domestique)
her dans DÉLABYRINTHER
hés dans THÉS
hez dans DÉLABYRINTHEZ
œ dans FŒTAL
uai dans QUAI
uais dans QUAIS
ue dans QUEBRACHO (arbre)
ué dans GUÉ
uê dans GUÊTRER
uée dans ATTAQUÉE
ués dans DISTINGUÉS
uées dans ATTAQUÉES
uer dans BAGUER
uez dans ATTAQUEZ
y dans VANITY-CASE
E est la
lettre la plus fréquente en français. Elle fut éliminée par jeu dans
Le mot qui contient le plus
de e ? Recherche-développement.
(Sont
presque aussi sympathiques : dégénérescence et réensemencement —
ils n’ont pas de voyelles parasites).
Le plus de é ? Hétérogénéité.
Le plus de è ? Nous
ne trouvons pas mieux que :
ampèremètre, à-peu-près, arrière-grand-mère
(et -père et -nièce), chènevière (champ de chanvre — mentionné par Perec dans ses Mots
croisés II), etc.
Le plus
d’accents, tous types confondus ? Hétérogénéité
l’emporte toujours, avec 5 accents. Gilles Esposito-Farèse
proposa début juillet 2007 sur la liste Oulipo une liste de mots comportant 4
accents :
> décélérâmes/décélérât(es)/décéléré/décélérèrent
> décérébrâmes/décérébrât(es)/décérébré(e,s)/décérébrèrent
> dégénérâmes/dégénérât(es)/dégénéré(e,s)/dégénérèrent
> néphélémétrie(s)
> référençâmes/référençât(es)
> régénérâmes/régénérât(es)/régénéré(e,s)/régénérèrent
> stéréorégularité(s)/stéréorégulière(s)
> stéréospécificité(s)
> télévérité(s)
Voici 93 graphies pour è (les mots qui figuraient déjà dans
la liste plus haut doivent leur présence ici à
une double prononciation possible) :
a
dans LADY
ä dans TJÄLE
(sous-sol gelé)
ae dans KAEMPFERIE
(plante)
aë dans TJAËLE
(autre orthographe de tjäle)
ai dans GAINE
aî dans MAÎTRE
aid dans LAID
aids dans LAIDS
aie dans LAIE
aient dans RIVAIENT
aies dans LAIES
ais dans MAIS
ait dans FAIT
aît dans NAÎT
aits dans FAITS
aix dans PAIX
ay dans TRAMWAY
aye dans LAYE
(partie d’orgue)
ayes dans MAYES
(réservoirs d’huile)
ays dans SPRAYS
e dans FERME
é dans ÉVÉNEMENT
è dans BÈGUE
ê dans BÊLER
ë dans NOËL
ea dans STEAK
eai dans GEAI
eaient dans RONGEAIENT
eais dans GEAIS
eait dans SONGEAIT
ect dans ASPECT
ects dans RESPECTS
ee dans FREESIA
(fleur)
ef dans CHEF-D’ŒUVRE
efs dans CHEFS-D’ŒUVRE
egs dans LEGS
eh dans KEFFIEH
(coiffe bédouine)
èh dans SAKIÈH
(noria)
ehs dans KEFFIEHS
èhs dans SAKIÈHS
ei dans BEIGE
eigh dans BOBSLEIGH
eighs dans BOBSLEIGHS
eit dans BREITSCHWANZ
(astrakan)
eî dans REÎTRE
(guerrier)
ep dans SEPT
es dans LES
ès dans APRÈS
ês dans KORÊS
(statue)
est dans EST
et dans EFFET
êt dans PRÊT
ets dans JETS
(d’eau)
êts dans PRÊTS
etz dans RETZ
(le cardinal de)
ey dans TROLLEY
eys dans BEYS
ez dans RECEZ
(procès-verbal)
hä dans HÄNDEL
(Georg Friedrich)
hae dans HAECCÉITÉ
(terme de philosophie)
hai dans HAINE
haie dans HAIE
haient dans DÉLABYRINTHAIENT
haies dans HAIES
hais dans HAIS
hait dans HAIT
haits dans SOUHAITS
he dans HERBE
hè dans THÈME
hê dans THÊTA
(lettre grecque)
hea dans BOGHEAD
hee dans JONKHEER
(noble)
hei dans HEIDUQUE
(domestique)
heis dans BOGHEIS
(cabriolet)
hes dans NURAGHES
(tours sardes)
hey dans BOGHEY
(autre orthographe du cabriolet ci-dessus)
heys dans BOGHEYS
œ dans ŒSTROGÈNE
uai dans GUAI
(un hareng guai ne
porte pas d’œufs)
uaie dans TANGUAIE
(terrain)
uaies dans TANGUAIES
uais dans LÉGUAIS
uait dans ALLÉGUAIT
uaient dans DÉLÉGUAIENT
ue dans QUEL
uè dans GUÈRE
uê dans QUÊTE
uet dans GUET
uêt dans CONQUÊT
(bien acquis)
uets dans AGUETS
uêts dans ACQUÊTS
uey dans BOGUEY
(toujours le cabriolet, en
ses orthographes variées)
ueys dans BOGUEYS.
La graphie la plus surprenante est
certainement é se prononçant è. Il n’y a pas qu’événement
qui fasse ainsi tache ; en cherchant dans le Robert et dans Grevisse
(§ 102) on
trouvera :
céleri,
abrégement, allégement, écheniller, écheveau, échevette,
échevin, élever,
éleveur, émeraude,
émeri, empiétement, féverole, hébétement, médecin,
séneçon, sénevé,
réglementer, vénerie.
Certains mots accepteraient les deux
lectures é et è :
créneler (et ses dérivés crénelure, crénelage), dégelée,
férié, sécheresse,
sécherie...
Que dire de certaines conjugaisons futures
ou conditionnelles de type léserai ou céderait ? Cette
délicate question touchant à la réforme de l’orthographe et aux façons de
parler en francophonie nous n’irons pas plus loin...
Il est impossible de caser trois accents
graves dans un mot. Et, curieusement, les formes en à et ù
n’interviennent que peu dans cette recherche : on croise pourtant ce type
de voyelle tous les jours (où ? là !).
Trouverez-vous, en guise d’exercice pour
la prochaine fois, un mot qui contienne les trois types d’accents (aigu, grave,
circonflexe) ?
On peut penser que je rêve.
On regarde à nouveau : plus de « E
».
Tout de même !
Mais de nouveau, si, en voilà un,
un autre, et encore deux autres, et de nouveau, plein !
Comment se fait-il que personne ne
s’en soit jamais aperçu ?
(Perec,
__________
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