[Bestiaire
ébloui des lexies tératoïdes]
Chapitre
1
Anticonstitutionnels,
ces électroencéphalogrammes ?
__________
Chaque langue a son record de saut en longueur ; pour l’italien
c’est :
« Precipitevolissimevolmente »
(très rapidement)
pour l’allemand, ce
serait :
« Arbeitslosenversicherungsbeiträge »
ou « Krankenhaustagegeldversicherungen »
(deux histoires
d’assurances — mais l’on connaît la propension à souder les mots outre-Rhin).
L’anglais penche
pour :
« Pneumonoultramicroscopicsilicovolcanoconiosis »
(ou -koniosis,
ce point divisant la communauté des word puzzlers anglo-saxons. Ce
serait une sorte de laryngite due à l’inhalation de fines particules de silice
volcanique, mais ce mot n’aurait-il pas été crée pour la cause ? Voir
l’article de la revue américaine Word Ways ici.)
Quant à M. Landroit,
d’Ixelles, il nous propose un effroyable mot-record suédois se répandant sur
130 lettres :
« Nordôstersjôkustartilleriflygspaningssimulatoranläggningsmaterielunderhallsuppfôljningssystemdiskussionsinläggsfôrberedelsearbeten ».
De quoi s’agit-il
exactement ? D’un travail préparatoire pour l’artillerie, nous dit-on.
Mais ce mot, et celui qui le précède, paraissent avoir été forgés pour les
besoins de la cause...
En français, anticonstitutionnellement
semble tenir la corde. On trouve pourtant dans le Grand Robert (en neuf
volumes) le verbe déconstitutionnaliser lequel fait au subjonctif déconstitutionnalisassions
et au conditionnel déconstitutionnaliseraient : 26 lettres, soit
une de plus que notre adverbe préféré.
Plus loin, en cherchant à la
lettre e, on tombe sur électroencéphalographique, adjectif qui,
au pluriel, compte 26 lettres également... Alors ?
Alors, on se pose des
questions : qu’est-ce qu’un mot ? Qu’est-ce que la longueur d’un
mot ? Qu’est-ce que la langue française ?
Parler de « plus long mot de
la langue française » a-t-il un sens ? Le Duval-Duval (Dictionnaire
de la Chimie et de ses applications, 3e édition,
1978), bien
connu des scientifiques, recense une foule de molécules. On y apprend ainsi que
la dinitrobutylxylylméthylcétone n’est autre que le musc.
Bien ! Ce mot (dinitro...) nous intéresse parce qu’il dépasse de
quatre unités anticonstitutionnellement ; fait-il pour autant
partie de la langue française ?
Quant à arrière-arrière-arrière-
... -arrière-grands-parents qui s’allonge à volonté, tel une longue-vue ou
une de ces cannes à pêche télescopiques de poche, peut-on dire encore qu’il
s’agisse d’un mot ?
Le
concept de longueur n’est pas simple à cerner non plus : que mesurent donc
riz-pain-sel (avec deux traits d’union – c’est un soldat), aujourd’hui (avec
son apostrophe) ou a b c
(avec ses trous de gruyère) ?
Ainsi en ira-t-il dans les
chapitres qui suivent où notre unique souci sera de chasser (pacifiquement) le
record : une certaine rigueur (adossée aux meilleurs travaux des maisons Duculot,
Robert, Larousse et Hachette), mais de la tolérance aussi
et un peu de cette souplesse qui permet de franchir tous les obstacles.
Voici notre citation perecquienne
du jour, elle est tirée du numéro 19 de la Bibliothèque Oulipienne. Georges
Perec aimait la langue française : l’abondance de mots record dans son
œuvre nous a sidérés.
Ce petit poème
où l’on a mis seulement des mots
simples
des mots comme camomille et manche
à balai
comme bête à bon dieu et sauce
béchamel
comme banana split et nonchalance
et pas des mots comme palimpseste,
pechblende, cumulo-nimbus,
décalcomanie, stéthoscope,
mâchicoulis ou
anticonstitutionnellement
a été composé spécialement
à l’occasion de ces épousailles.
Tiens, en guise d’entraînement aux
jeux de lettres, essayez de trouver les quatre mots français les plus courts.
La réponse est placée en queue du chapitre suivant.
__________
Retour
à la page d’accueil, ici.