Attention !
Un
(...) peut
en cacher un autre !
Moi, ma passion c’est...
j’en ai plusieurs en fait, dans le désordre, euh... la langue française, la
typographie, les échecs (le jeu d’échecs !), les maths amusantes, les
puzzles, les illusions d’optique, le genre humain... mais aussi...
(...)
Alors, les mots. Leur sens m’intéresse moins
que leur aspect... Quoique, parfois... une boîte
de conferve, avec « f », ça fait toujours rire — je n’invente
rien, vous pouvez vérifier, ça existe, ce sont des algues ! Caf’conc’ me plaît aussi, avec ses
apostrophes, et bat’ d’Af, pareil ; le sot-l’y-laisse n’est pas triste, ni l’a b c, troué comme un
gruyère... Quant à l’à-côté... D’habitude je...
(...)
Oui, des cahiers Super Conquérant, surtout dans les années ’60. Depuis j’ai mis de
l’ordre, j’ai acheté des logiciels de tri, des correcteurs automatiques, des
encyclopédies sur CD-Rom... J’ai Internet pour me tenir au courant des
dernières trouvailles, ou pour échanger des listes avec mes correspondants. Je
chronique toutes ces bizarreries dans un journal de...
(...)
Le mot texte
par exemple, peut être vu comme un mouvement de pièce aux échecs, « Tour e
prend tour e » ; le mot non-sens
est composé de points cardinaux — on pourrait lui obéir en allant d’un pas vers
le nord, puis d’un pas vers l’ouest, d’un autre pas vers le nord, etc.,
jusqu’au sud. Ça mène où, tout ça ? Je ne sais pas... ILLISIBLE est le nombre
378151771 lu à l’envers, et...
(...)
Merci !
Je vous laisse ceci ?
(...)
Voilà !
À bientôt (j’espère !)
Je
ferme la porte doucement derrière moi. Quelle porte ! Immense et
matelassée de cuir, tournant sur elle-même sans effort – ni feulement. Une
porte monumentale, une porte de ministre. Nous sommes pourtant chez un
particulier... C’est le cas de le dire, il est un peu bizarre, et puis son nom justement, sur la plaque,
avec sa particule : M. Quatre de Chiffre...
J’ai été engagé ! J’ai reçu trois mois de salaire en guise de bienvenue ! Un bureau magnifique avec des baies sur le golfe, des hectares d’étagères pour ranger mes livres – et des fibres optiques, grosses comme le poing, pour alimenter mes machines ! Une chose m’a intrigué : pourquoi ce plafond transparent ? Pourquoi des murs de verre et un sol itou ? C’est du bon gros pavé solide, d’accord, mais bonjour l’intimité, on dirait un aquarium ! D’ailleurs pour qui sont ces serpents qui rampent au-dessus de ma tête ?
Monsieur de Chiffre est venu me voir la
semaine suivante.
Bien installé ?
(...)
La collection de mots avance ?
(...)
Anticonstitutionnellement ?
Électro-encéphalographiques ?
Dinitrobutylxylylméthylcétone ?
Hippocampéléphantocamélos ?
(...)
J’ai vu que vous habitiez loin d’ici :
ne serait-il pas plus simple pour tout le monde que vous dormiez dans la grande
annexe ?
(...)
Tous vos collègues font ça, vous avez
remarqué ?
La passion ça ne se bride pas !
(...)
Eh bien continuez !
(...)
Je vais finir par être riche ! J’ai encore
touché un chèque à rallonge ! En revanche il a fallu en rabattre un peu du
côté des libertés. Je passe pratiquement tout mon temps ici, week-ends et
vacances compris. Il faut dire qu’on ne manque de rien. Tout est prévu. On fait
même des rencontres passionnantes : le type du haut, celui aux serpents, est un
herpétologue fameux [on peut écrire erpétologue,
sans « h »; les reptiles occupent l’(h)erpétologie], c’est aussi un
expert en cladistique (la cladistique est un dispositif à classer le vivant).
(...)
Il me faut de l’air frais.
Monsieur de Chiffre à voulu me marier de
force à une autre employée. Elle est charmante, la question n’est pas là, et
compétente (archéologie industrielle / histoire du vitrail / technologie des
tire-plomb — sans « s », car cette machine étire le plomb destiné
aux vitraux)... mais j’eusse aimé avoir mon mot à dire !
(...)
J’ai rêvé cette nuit que j’étais un papillon.
Un zygène à 25 points au Scrabble, lourd et charnu. Je plane, un peu hébété,
dans une bananeraie – et voilà que Monsieur de Chiffre surgit. Son coup de
filet m’assomme. Je me réveille avec une horrible douleur au côté, tourne la
tête et distingue un cure-dent, immense, qui me transperce le corps, allant
s’enficher dans le suber ! Ma bouche est pleine de vernis et mes ailes
collent : au secours !
(...)
Monsieur de Chiffre collectionne les
collectionneurs. Il vit de leurs savoirs et les exploite, comme la coccinelle
son troupeau de pucerons. J’ai appris qu’il allait partir pour un congrès à
Glasgow, en Écosse. Il me prendra sous le bras avec quelques collègues, dans le
but, semble-t-il, de nous échanger. Je vais commencer à me passionner pour
l’évasion... Quelqu’un peut m’aider ? Me proposer de la doc’ ?
(...)
—
Edmond Dantès, futur comte de Monte-Cristo qui s’évade du château d’If ;
—
Dédale et Icare qui s’envolent du labyrinthe ;
—
Papillon, le bagnard ;
—
Pablo Escobar, évadé puis repris, célèbre baron de la drogue ;
—
la drogue justement, et l’alcool ;
—
Chéri-Bibi, encore un bagnard ;
—
Spartacus, gladiateur affranchi, puis chef d’une armée d’esclaves ;
—
Sisyphe, attaché à son caillou ;
—
la littérature d’évasion ;
—
et Casanova bien sûr, qui s’échappe des Plombs de Venise ;
...
cette dernière idée venant de ma jeune dame aux vitraux comme il se doit :
les Plombs sont une prison et le Pont des Soupirs y mène (ou ramène).
(...)
Nous nous sommes mariés, finalement.
Notre nuit de noce fut courte à Glasgow.
Et nous n’avons plus quitté cette ville.
Ma vitrine n’est pas loin de la sienne.
Elle y forme un lingot très chic, verre et
plomb.
Mais cet œil, là, qui m’examine, de qui
est-il ?
Lecteur ? Lectrice ?
(...)
De passage au Conservatoire ?
(...)
Vous collectionnez les papillons ?
(...)
Le suber/rébus ? C’est du liège — mais chuuût !
on vient, allez-vous-en !
(...)
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